Depuis l'australopithèque, il y a des
millions d'années, bien des sous-espèces d'humains
(ou hominidés, selon le langage scientifique) sont
apparues et disparues. L'Homo sapiens, c'est-à-dire
nous, apparu il y a 160 000 ans, est le survivant. Pour
autant qu'on sache, une seule autre espèce a survécu
tardivement et a donc côtoyé nos ancêtres:
l'homme de Néandertal, dont
les derniers représentants se sont éteints
en Europe il y a un peu plus de 27 000 ans.
Du moins, ça, c'était avant
la découverte surprenante annoncée la semaine
dernière à la Une de la revue britannique
Nature: huit squelettes de un mètre de haut,
découverts dans une caverne, sur une île indonésienne,
l'île de Flores, dont le plus ancien est âgé
de 70 000 ans (peut-être beaucoup plus) et le plus
récent, d'à peine 18 000 ans.
Dix-huit mille ans, à l'échelle
biologique, c'est hier. Cela signifie que, sur cette île,
cette espèce a survécu aux nombreux aléas
de l'évolution tandis que ses cousins Homo sapiens
proliféraient aux quatre coins du monde. Mieux encore,
les chercheurs n'hésitent pas à dire qu'ils
ont probablement survécu jusqu'à il y a 12
000 ans, soit jusqu'au moment où une éruption
volcanique a dévasté l'île et éradiqué
plusieurs de ses espèces indigènes.
Une autre espèce humaine
D'où venaient ces gens? Ces huit squelettes
de l'île de Flores (Homo floresiensis) sont-ils
les derniers survivants d'une espèce qui avait vécu
dans le reste de l'Asie? S'agit-il en effet, comme les chercheurs
australiens et indonésiens le suggèrent, de
descendants rachitiques des Homo erectus, de lointains
cousins à nous, qui sont arrivés dans la région
il y a 900 000 ans? Si oui, cela signifie qu'au moins une
lignée d'Homo Erectus a survécu beaucoup,
beaucoup, beaucoup plus longtemps qu'on ne l'avait soupçonné.
Et s'ils ont survécu aussi tardivement favorisés,
sans aucun doute, par l'isolement de cette île
est-il possible que d'autres clans aient également
survécu ailleurs? On imagine déjà
la chasse aux fossiles humains qui va animer Australiens
et Indonésiens...
Car il
s'agit indéniablement d'humains, et non de
singes, en dépit de leur petite taille
et de leurs crânes qui font le tiers de
la taille des nôtres (à peu près
la taille d'un crâne de chimpanzé). On
a même retrouvé des outils de pierre
quoique les anthropologues restent sceptiques
à ce sujet et ils se nourrissaient de
petits éléphants appelés stégodons
eux aussi propres à l'île de Flores,
et disparus aujourd'hui et d'un reptile local
appelé le dragon de Komodo, à en juger
par les ossements d'animaux retrouvés dans
la même caverne.
Enfin, ces Hobbits, comme les ont baptisés
certains, à
la fureur du chercheur principal, l'Australien Peter
Brown, n'ont rien de commun avec les habitants
modernes de l'île, dont l'archéologie
a révélé depuis longtemps qu'ils
étaient arrivés il y a moins de 5000
ans.
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Le
dossier Petits hommes
La
manchette
Les
nouvelles
1. Une
surprise pour la science... et les humains (1er
novembre)
2. Pourrait-il
y avoir d'autres explications? (1er
novembre)
3. Et
s'ils étaient encore vivants? (1er
novembre)
4. Les
touristes cherchent les petits hommes (8
novembre)
5. Quand les créationnistes
s'emmêlent (10 novembre)
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Bref, voici "un humain archaïque" qui
vivait encore à une époque récente,
ce
qui nous oblige à modifier notre vision de l'évolution
humaine: ces gens, insistent Peter Brown et son collègue
Mike Morwood, sont nos cousins; ils sont aussi éloignés
du chimpanzé que nous le sommes nous-mêmes.
Et si
c'est à cause des pressions de leur environnement
et de leur isolement qu'ils ont évolué
vers une si petite taille et un si petit cerveau comme
cela arrive couramment chez les mammifères
cela nous rappelle à quel point nous sommes, nous
aussi, soumis à notre environnement. Nous ne sommes
pas la fin de l'évolution; nul ne peut dire dans
quelle direction évoluera l'Homo sapiens dans le
futur.
Sans nul doute, les cavernes de l'Ouest de
l'île de Flores seront retournées dans tous
les sens au cours des prochaines années, dans l'espoir
de trouver d'autres os. Dont au moins un qui contiendrait,
qui sait, de l'ADN. L'ADN est une molécule qui se
dégrade normalement en quelques milliers d'années,
mais on a récemment réussi à en analyser
des extraits chez des Néandertaliens vieux de 30
000 ans: tous les espoirs sont donc permis, exprime Peter
Brown, bien que, pour l'instant, les ossements de stégodons
retrouvés dans la même caverne n'aient rien
révélé.
Pascal Lapointe