La pêche
au crabe bat son plein depuis un mois dans
l’estuaire du Saint-Laurent. Au moins
trois fois par semaine, René Landry
et son équipage quittent le quai de
Rimouski à 2 h pour aller lever leurs
120 nasses par des profondeurs variant de
240 à 550 pieds de fond du côté
de Betsiamites et de Chute-aux-Outardes. Un
dur métier, qu’il pratique avec
passion depuis l’enfance.
Sauf que lorsqu’il était enfant,
le crabe était encore une rareté
que seuls quelques amateurs se partageaient.
« On vendait chaque crabe 10 sous »,
se souvient M. Landry. Des crabes qui se prenaient
plus souvent qu’autrement dans les filets
de pêche et qui étaient considérés
par bien des pêcheurs comme une nuisance.
Mais la situation a commencé à
changer au cours des années 70, avec
le développement d’un marché
qui venait principalement du Japon. Aujourd’hui,
plus de 90 % de nos prises sont dirigées
vers les États-Unis et le Japon. Le
reste est destiné au marché
local. |
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Mais bien que récente,
la pêche au crabe des neiges demeure quand
même étroitement surveillée.
« Les 23 pêcheurs de la zone où
je travaille ont compris que le respect de la
ressource garantissait notre avenir professionnel
», m’explique René Landry,
qui est aussi le président de l’Association
des crabiers de la zone 17. Cette délimitation
s’étend de Pointe-des-Monts aux Escoumins
au nord, et de Trois-Pistoles à Rivière-à-Claude,
au sud. Les quotas de cette année y ont
été établis à 1925
tonnes pour une saison qui va du 1er avril au
31 juillet.
Quand je lui demande pourquoi il traverse matin
et soir le grand bleu pour aller pêcher
à plus de trois heures de navigation de
chez lui, René Landry marque une petite
pause. « C’est un coin que je connais
par cœur. J’y pêchais déjà
avec mon père et mon frère Denis
à l’âge de 13 ans, en 1968.
» René Landry appartient à
la catégorie de pêcheurs «
traditionnels », qui ont un permis permanent
et dont les fonctionnaires de Pêches et
Océans Canada disent qu’ils pêchent
« sur l’espèce », par
opposition à des homardiers ou des morutiers,
par exemple, qui reçoivent occasionnellement
des quotas temporaires de pêche au crabe
pour les aider à passer à travers
les périodes difficiles. « Mon frère
Denis et moi sommes associés. En 1986,
nous avons racheté l’entreprise de
notre père, qui était pêcheur
de morue et de hareng. Nous avons aussi un permis
qui nous autorise à un petit quota de 20
000 livres de poisson de fond, pour le turbot,
qu’on ira pêcher une fois nos limites
de crabe des neiges atteintes. »
En 1998, les frères Landry ont aussi fait
l’acquisition de la poissonnerie Gagnon,
située au quai de Rimouski, une institution
dans la région. Les employés s’y
connaissent en poisson et en fruits de mer frais.
« Pour mon frère et moi, cet investissement
allait sans dire. »
Avoir la météo
pour soi
De chez lui, à Métis-sur-Mer, René
Landry a une vue imprenable sur l’estuaire
et sur le phare. Il s’installe devant les
grandes baies vitrées pour faire sa comptabilité,
en observant d’un œil les canards.
Il ira se coucher vers 20 h, le temps de voir
un peu ses quatre enfants à leur retour
de l’école. Car c’est jour
de pêche. Levé à 1 h, il sera
de retour au quai de Rimouski vers 16 h, pour
le comptage de ses prises. La météo
s’annonce plutôt clémente.
« J’ai toujours hâte que la
saison reprenne. Quand la température veut
bien coopérer, c’est le plus beau
métier du monde. »
Mais en début de saison, les conditions
pénibles sont fréquentes. Comme
ce fameux lundi d’il y a deux semaines,
où le capitaine Landry, son frère
Denis et leur équipage composé de
trois hommes d’expérience ont entrepris
leur traversée vers la Côte-Nord
dans un contexte cauchemardesque. « En route,
on a frappé de la grosse pluie, des vents
de 40 milles à l’heure et du brouillard.
C’est difficile, surtout avec tous les gros
bateaux containers qui se dirigent vers Montréal
et qu’on croise en chemin. Dans ces moments-là
on reste collé à sa radio et on
suit les consignes des contrôleurs maritimes
des Escoumins, qui nous guident de minute en minute
pour éviter des collisions ou un échouage,
comme c’est arrivé récemment
à des pêcheurs de Sept-Îles
qui se sont pris sur des hauts-fonds. »
Rendus dans leur secteur de pêche, la pluie
s’est transformée en neige, avec
de fortes bourrasques. « On a travaillé
toute la journée à lever nos casiers
japonais, qui font quand même six pieds
de circonférence, quatre pieds de haut
et qui peuvent contenir jusqu’à 125
livres de crabe. Dans la neige, le froid, le gros
vent, puis le grésil. Je peux vous assurer
que ça prend des hommes aguerris, avec
du cœur à l’ouvrage, pour accepter
de continuer dans ces conditions-là, surtout
si le pont du navire se met à geler »,
explique M. Landry.
Son bateau, le Denis-René, est cependant
doté des meilleurs équipements pour
assurer la sécurité de ses hommes
et simplifier leur tâche. Long de 50 pieds,
il a fière allure avec sa coque blanche
lignée de vert et son mât orange
brûlé. « Je l’ai fait
bâtir aux Îles-de-la-Madeleine, en
1980. C’est un des derniers bateaux tout
en chêne blanc à être sortis
des chantiers maritimes », explique M. Landry,
qui vient d’investir une somme costaude
pour le rénover et le doter de systèmes
de navigation de pointe.
Cette nuit, après que l’équipage
aura appâté les 120 nasses avec de
la raie, René et Denis Landry se partageront
le gouvernail pendant que leurs hommes iront se
reposer dans leur cabine.
Puis, à 5 h, la journée débutera
avec un petit déjeuner rapide, suivi par
la levée de la moitié des 120 casiers.
Pause-sandwich de 10 minutes, avant de reprendre
le boulot jusque vers 13 h. « Quand les
gens nous voient rentrer au quai de Rimouski le
bateau rempli de crabes, ils trouvent ça
beau. Nous on sait le travail qu’il nous
a fallu pour débusquer ce crabe-là,
l’attraper, puis le ramener. Mais c’est
notre vie et on n’en voudrait pas d’autre.
Surtout quand la mer est d’huile, comme
aujourd’hui… ».
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