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N° 273
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TelQuel : Le Maroc tel qu'il est

Par Driss Bennani

Enquête. L’mroud, histoire d’une malédiction

(TNIOUNI / NICHANE)

Mrda, chabakouni, bouga… Les Forces auxiliaires (FA) ont depuis toujours hérité de sobriquets peu valorisants et souvent insultants. Raillés par le petit peuple, méprisés par les militaires, surexploités par l'Etat… les FA ont une histoires tumultueuse et pitoyable, mais surtout méconnue.


Hay Al Farah, le 10 avril. Apercevant un fourgon des Forces auxiliaires foncer droit dans leur direction, quelques minutes après la seconde explosion kamikaze, un petit garçon s'agrippe, paniqué, à la jambe de son père en criant : “Nari a baba, lâaskar”. Imperturbable, le père se
contente de serrer l'enfant contre lui en le rassurant d’un sourire : “Mais non, mon fils, ce sont juste des mkhaznia”. Le petit Casablancais, qui n'a pas très bien assimilé cet étrange distinguo, n'a pas assouvi sa curiosité pour autant. Le manège de ces “faux militaires” l'intrigue. Étrange, semblait-il penser. Tout comme les vrais soldats, les mkhaznia portent un treillis kaki, se déplacent en groupe et portent de gros casques à visière. Certains sont même équipés d'un bouclier, d'un gilet pare-balles et d’un talkie-walkie. Seul hic, ces braves gaillards ne disposent, en guise d'arme, que d'une longue matraque noire, qu'ils agitent nerveusement à chaque mouvement de foule.

Les 10 et 14 avril, plusieurs Casablancais ont ainsi redécouvert, souvent avec nostalgie, les fameux mroud. “Depuis le milieu des années 80, je n'ai plus revu autant de mroud sur la voie publique. Mais ils ont drôlement changé. Ils apparaissent plus costauds et ont de meilleures tenues. On a du mal à les reconnaître”, ironise Hassan, un quadra rencontré sur le Boulevard Moulay Youssef. Car dans l'imaginaire collectif des Marocains, explique ce sociologue, “un mrda est nécessairement un bougre analphabète, de petite taille, frêle et tout sauf impressionnant”. Plutôt qu'une casquette ou un képi, il est affublé d'un béret difforme, d'une vareuse trop courte et d'un pantalon à la coupe ridicule. Son rôle ? Organiser l'entrée aux stades ou faire semblant de courir derrière les marchands ambulants, quand le caïd est de passage dans le coin.
D'ailleurs, quand, en septembre 2006, le général Hamidou Laânigri, précédemment patron tout puissant de la DGSN, atterrit à l'Inspection générale des Forces auxiliaires, il est la risée des salons feutrés de la capitale et de quelques plumes inspirées. Cette nomination est perçue alors comme “une punition, l'humiliation ultime, la sortie par la petite porte”… C'est dire la valeur qu'accordent les Marocains à ce corps décidément maudit. “Concrètement, le général a été mis à la tête d'un corps disparate, qui ne peut jamais intervenir seul, qui n'est là que pour suppléer ou prêter main forte à d'autres corps d’armée”. À l'époque, la blague racontait que Laânigri aurait été vu à Benjdia (quartier populaire de Casablanca), traquant quelques marchands ambulants de fruits et légumes. “Les Forces auxiliaires sont le seul corps militaire que le petit peuple raille autant. Dans les blagues, ils sont les stupides de la bande alors que les flics sont des vicieux et les militaires des brutes”, explique notre sociologue qui poursuit : “Ils sont également les seuls à hériter d'un sobriquet (mroud) commun à toutes les régions du Maroc”.

“Mrda”, ça veut dire quoi ?
Un sobriquet presque aussi vieux que le corps lui-même. “Mroud, explique un haut gradé à la retraite, est en fait un terme berbère qui renvoie à ces petites larves de sauterelle, de couleur verdâtre, qui se dispersent rapidement et qui n'épargnent rien sur leur passage !”. Mais au-delà des clichés et des idées reçues, les Forces auxiliaires apparaissent, au moins sur le papier, comme un corps solide et professionnel. Aujourd'hui, le Maroc compte ainsi près de 45 000 agents des Forces auxiliaires. Seule l'armée dispose d'un effectif plus important. Le corps est, grosso modo, divisé en deux parties. D'un côté, le Makhzen administratif, une sorte de police administrative postée devant ou à l'intérieur des bâtiments publics. De l'autre, il y a le Makhzen mobile, composé d'unités d'intervention rapide, qui vivent en famille dans les casernes et qui se déplacent constamment en groupes. Et c'est de ce Makhzen-là que proviennent la majorité de ceux qui ont investi les rues de Casablanca après les événements du 10 avril.

Selon leur dahir de création, les Forces auxiliaires “assurent des missions de maintien de l'ordre et de sécurité publique et participent à des missions de défense opérationnelle du territoire et de sécurité civile”. Ainsi, les mkhaznia sont également soumis au régime militaire, au même titre que les soldats et les gendarmes, à une exception près : ils dépendent étrangement du… ministère de l'Intérieur. “Une aberration”, selon certains militaires, qui persiste cependant depuis la création de ce corps, quelques années avant l'indépendance.

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la France se remet difficilement de ses blessures. Au lieu de libérer les goumiers blessés ou ayant atteint l'âge de la retraite, l'armée française préfère les regrouper pour les réaffecter au sein d'un corps de supplétifs. “On leur faisait faire de petits boulots et ils intervenaient pour donner un coup de main aux troupes régulières. Cela ressemblait à un recyclage sans frais des anciens goumiers”, explique un historien. Après l'indépendance, le Maroc ne se défait pas de cet étrange corps de supplétifs, mais “oublie” de le doter d'un véritable statut. Les mokhaznis (appellation officielle) restent vaguement dépendants du ministère de l'Intérieur, et interviennent, les premiers, pour réprimer les différentes manifestations et émeutes qui secouent le pays, fraîchement indépendant. En “temps de paix”, les mokhaznis assurent la garde des bâtiments officiels ou aident à l'acheminement du courrier dans les régions lointaines.

En 1971 puis en 1972, Hassan II échappe de justesse à deux tentatives de putsch. L'implication de ses généraux est incontestable. Elle finit par installer un climat de méfiance manifeste entre la monarchie et l'armée. C'est alors qu'on assiste à la montée en force de la gendarmerie… et à la renaissance de ce petit corps paramilitaire, mis en veilleuse depuis l'indépendance. Hassan II s'y attelle personnellement et finit par désigner deux hauts gradés des Forces armées royales à la tête des Forces auxiliaires en 1974. Leur mission ? Entraîner les FA au maintien de l'ordre et aux interventions rapides. “Tout est parti très vite. Les Forces auxiliaires ont été dotées d'un statut particulier et un budget exceptionnel de neuf milliards de centimes (une véritable fortune à l'époque) a été débloqué. Mais comme les deux tiers de l'effectif étaient pratiquement inaptes au service militaire, il a fallu recruter à nouveau et reconstituer ainsi l'ensemble du corps”, se rappelle un officier ayant servi à cette époque. “On ne tiquait pas sur le niveau des candidats. Il suffisait qu'ils soient disciplinés et en bonne santé. Nous recrutions essentiellement dans les régions d'Ouarzazate et d'Errachidia. Là-bas, les gens étaient encore naïfs et… ne fumaient pas”, poursuit notre officier. Mais Hassan II ne s'arrête pas là. Il décide de créer deux zones d'intervention des FA (Nord et Sud, une répartition encore valable aujourd'hui). “Ce n'est qu'après coup que nous avons compris qu'à cette époque, Hassan II avait déjà des plans pour reconquérir le Sahara”. En 1975, les Forces auxiliaires participent donc, sans surprise, à la Marche verte. Mais lors de la cérémonie de décoration des militaires ayant participé à la Marche, les gradés des FA manquent à l'appel. “Hassan II s'est énervé et a demandé à la Gendarmerie de nous ramener sur le champ. Nous sommes finalement arrivés trop tard. Mais quelques mois plus tard, lors d'une autre réception, le roi nous a personnellement demandé si nous avions reçu nos décorations”, raconte un officier des FA. Mais malgré cette bienveillance royale, les Forces auxiliaires sont considérées (déjà à l'époque) comme des “sous-militaires” par les gradés de l'armée et de la Gendarmerie royale. “On s'amusait à répéter qu'un mrda n'avait pas besoin de cervelle, parce que sa moelle épinière suffisait. On ne lui demande pas de réfléchir, mais de développer un seul réflexe : taper”, rapporte crûment un officier de la gendarmerie.

Les mroud, chair à canon
Lorsque la guerre du Sahara éclate en 1976, les Forces auxiliaires se retrouvent, une nouvelle fois,en première ligne. C'est l'hécatombe. Des compagnies entières sont massacrées par les combattants du Polisario. “Les mokhaznis envoyés au Sahara savaient à peine manier quelques armes légères. Et encore, leurs armes ressemblaient à celles utilisées par les cavaliers de la fantasia et n'avaient qu'une courte portée”, explique un ancien officier. Autant dire que la cause était entendue. Quelques gradés tentent d'intervenir auprès de l'état-major des FAR pour arrêter le massacre… en vain. “Pourquoi voulez-vous qu'on leur donne des armes ? Vous ne leur avez donc pas appris à manier la matraque ?”, aurait répondu, avec un accent fassi, un grand militaire de l'époque. “En fait, explique un mokhazni qui a participé à la guerre du Sahara, le Maroc sous-estimait la force de l'ennemi et ignorait tout de la nature de cette région. En plus, le roi avait toujours peur de mettre des armes entre les mains des militaires”. Finalement, il aura fallu que Hassan II interroge, en personne, deux combattants du Polisario pour qu'il soit définitivement convaincu de la capacité militaire du Front sahraoui. C'est seulement à ce moment que les FAR investissent massivement le Sahara. Mais les Forces auxiliaires ne le désertent pas pour autant. Elles continuent à servir sous les ordres de quelques officiers des FAR. “Nous étions les éclaireurs, les gardes des campements et les sous-fifres. Et nos éléments continuaient à mourir massivement au combat. Une fois, raconte cet ancien sous-officier, je suis revenu en pleurs chez mon supérieur, parce que j'avais perdu, en une seule attaque ennemie, trente de mes camarades. Il m'a regardé avec dédain et m'a répondu : 'tu en as perdu 30, je t'en donne 60. Ne t'inquiète pas, l'cartone moujoud (le carton est disponible à foison)'. Je suis d'ailleurs certain que près des deux tiers des martyrs de la guerre du Sahara appartiennent aux Forces auxiliaires”. À partir de 1982, les garnisons de FA postées au Sahara participent, aux côtés de l'armée, à la construction du fameux mur de défense. Plus tard, c'est à eux qu'échoit la sale besogne de garder des bagnes tristement célèbres comme ceux de Kelâat Mgouna ou d'Agdz. Et même plusieurs années après la signature du cessez-le-feu en 1991, les FA restaient incontournables dans la gestion du dossier du Sahara. Et pas qu'au niveau militaire… Au milieu des années 90, quand Hassan II décide de doter la région de sa première équipe de football, il va (presque naturellement) aller la chercher… du côté des mroud. Créée en 1978, l'équipe des Forces auxiliaires de Settat est alors plus connue sous le nom de Bir Baouch, du nom d'un village à côté de Settat. En 1983, l'équipe des mroud est transférée à Benslimane avant d'être à nouveau baptisée en 1995 “Jeunesse sportive d'Al Massira”, l'équipe qui représente désormais le Sahara dans le championnat national de football.

Les jokers de la répression
Pendant ce temps, au nord du royaume, l'image des mkhaznia n'est pas plus reluisante. Les costumes kaki sont de toutes les vagues de répression, nombreuses à l'époque. Fès, Nador, Casablanca… les Forces auxiliaires apparaissent comme un corps brutal, responsable de plusieurs exactions. “Mais attention, insiste un ancien colonel des FA, les mokhaznis n'ont jamais tiré une seule balle, parce que leurs propres enfants étaient souvent dans la foule. Car contrairement aux militaires, les casernes des mokhaznis se trouvent généralement dans le centre-ville. Leurs armes sont peu performantes. Peu se hasardaient à les utiliser”. “Bien des fois, ajoute un officier, et jusqu'en 1992 à Fès, des soldats de l'armée étaient habillés en mkhaznia pour intervenir en ville. Mais les gens arrivaient quand même à les reconnaître… grâce à leurs bottes : à l'époque, les éléments des Forces auxiliaires ne portaient pas de Rangers, mais de simples chaussures”. Pourquoi un tel déguisement ? “L'armée est un corps noble qu'il ne faut pas souiller”, explique, sans se formaliser, un gradé des FAR. Comprenez : les Forces auxiliaires sont le seul corps “bâtard” qui peut assumer les basses manœuvres du Pouvoir. En plus, c'est un corps parfaitement flexible, corvéable à merci et peu ou pas du tout exigeant. “Il permet surtout de respecter le degré de gravité, nuance un expert militaire. L'armée n'intervient, à visage découvert, qu'en dernier lieu et sur ordre du roi en personne. Les Forces auxiliaires sont une sorte de joker des services de sécurité. Elles peuvent être mobilisées dans l'immédiat par le gouverneur ou l'inspecteur général. Les FA se débrouillent, par exemple, pour préparer leur 'gamila' dans le camion alors que l'armée a besoin de tout un équipement pour la préparation de la marmite militaire”. Bref, du fait même de sa souplesse et de son statut “bâtard”, le corps des mokhaznis se retrouve régulièrement en première ligne de confrontation avec le peuple. Les conséquences sur leur image sont, on s'en doute, désastreuses.

En ce début des années 80, les mroud sont (déjà) un corps haï par la population. Ils incarnent l'autorité dans ce qu'elle a de plus abusif, de plus brutal. En plus de la répression des manifestations, les Forces auxiliaires gardent un contact quotidien et rapproché avec la rue. Les mkhaznia sont partout : dans les souks, les préfectures, les hôpitaux, la poste, les stades et même à l'entrée des cinémas. Plus simplement, ils sont les yeux et les oreilles du système.

Makhzen (trop) administratif
Dans les préfectures, une bonne partie du Makhzen dit administratif est mise à la disposition des caïds et des gouverneurs. Ce sont ces mokhaznis qu'on retrouve encore aujourd'hui à l'entrée des bâtiments officiels et aux portes des principaux responsables locaux. Des hommes à tout faire, en fait. Ils peuvent servir le thé, introduire les invités, chercher le courrier… ou traquer les marchands ambulants et chasser les enfants qui jouent au foot près des parcs publics récemment rénovés par la municipalité. Lors du dernier recensement, les enquêteurs ont demandé à une veuve dans une petite ville : “Chkoun lli tayjri âla drari daba ?”. Naïvement, la dame répond instantanément : “mrda a sidi”. Blague ou situation réelle, peu importe. Elle renseigne suffisamment sur l'image que se fait le petit peuple de la mission des mkhaznia. “Il est vrai que nous accomplissons des tâches ingrates, avoue ce commandant en exercice. Mais cela fait partie du devoir qui nous est dévolu et du flou qui entoure les textes régissant notre corps. En réalité, nous le faisons à contrecœur”, déplore-t-il. Selon cet ancien gradé des Forces auxiliaires, “le contact prolongé avec les cadres de l'Intérieur est à l'origine de plusieurs problèmes. Les agents des Forces auxiliaires ont fini par hériter de l'arrogance et des mauvais réflexes de la Dakhilia”. Toujours selon la même source, “il est rare qu'un caïd formule par écrit et définisse clairement la mission du mokhazni qu'il envoie chasser les marchands ambulants. Ce dernier a donc tendance à tomber dans l'excès, la corruption…”.

Lorsqu'ils ne dispersent pas les manifestations ou ne servent pas dans les préfectures et les wilayas, les Forces auxiliaires sont assignées à la surveillance des frontières. Tout au long du littoral méditerranéen au nord, puis le long du mur de défense au sud et au sud-ouest, plusieurs unités du Makhzen mobile (par opposition au Makhzen administratif) montent la garde. Au début des années 90, les unités postées au nord du pays “ont gagné en importance”, depuis que le pays s'est engagé dans la lutte contre l'émigration clandestine et le trafic de stupéfiants. L'effectif posté pour surveiller “les frontières bleues” est ainsi passé de 3000 éléments en 1992, à 4500 en 2004. La pression de l'Union européenne n'y est pas pour rien. Mais là encore, les mokhaznis ont trouvé le moyen de faire parler d'eux. En 2001, le reportage d'une chaîne de télévision espagnole montre un membre des Forces auxiliaires dans une posture pour le moins compromettante. Sur la vidéo qui a fait scandale, il n'hésite pas à aider (presque innocemment) des narcotrafiquants à charger leur cargaison puis à pousser leur embarcation jusqu'à la mer. D'ailleurs, plusieurs têtes au sein des Forces auxiliaires sont tombées en marge d'affaires surmédiatisées, comme celles d'Erramach ou de Bin Louidane, où serait impliqué l'Inspecteur général des Forces auxiliaires de la zone Nord en personne. Résultat ? L'Union européenne (UE) vole au secours des FA marocaines et finance un projet de formation de mokhaznis. Détection de migrants clandestins, droit international, stratégie de contrôle et de surveillance des frontières… Un retour salutaire à l'école, qui arrange finalement tout le monde. Pour l'Europe, c'est (peut-être) la garantie d'un contrôle plus efficace d'une frontière “pré-Schengen”. Et pour les troupes marocaines, l'intérêt d'une telle “mise à jour” est encore plus évident.

Mroud tout terrain
Si beaucoup ont vu dans la nomination du général Laânigri à la tête des Forces auxiliaires une dégradation pour l'ex-patron de la DGSN, d'autres pensent qu'au contraire, “l'homme a été chargé d'une mission importante : moderniser les Forces auxiliaires et les préparer à assumer de nouvelles missions”. Au lendemain de son installation au siège de l'Inspection générale à Rabat, une première idée a d'ailleurs commencé à faire son chemin : la création d'une troisième zone, dite opérationnelle, qui s'étendrait d'Agadir jusqu'aux frontières mauritaniennes. “La répartition géographique qui existe aujourd'hui a été adoptée en 1974. À l'époque, le Sahara n'existait pas encore dans la géographie sécuritaire. Aujourd'hui, la région représente près d'un tiers du territoire national. Créer une troisième zone s'impose donc comme une évidence”, commente un commandant des Forces auxiliaires. Depuis la fin des années 90, près de 6000 hommes des FA (estimation officieuse) sont stationnés le long du mur de défense ou dans les casernes du sud. “Le Sahara reste une zone sensible où le maintien de l'ordre est un enjeu majeur. A fortiori aujourd'hui, avec la perspective de l'application du projet marocain d'autonomie. Ce qui explique la présence permanente de l'armée et des éléments des Forces auxiliaires”, estime un observateur sahraoui. Autre défi qui se pose au Général Laânigri, comme à tous les responsables sécuritaires du pays : la lutte contre le terrorisme. L'année dernière, Cherki Drais, fraîchement nommé à la tête de la DGSN, avait demandé des renforts aux hommes de Laânigri. C'est ainsi que des rondes communes de policiers et d'éléments des Forces auxiliaires ont vu le jour dans les principales villes du pays. Entre officiers des FA, on parle même de la préparation d'un nouveau statut pour leur corps, avec de nouvelles missions et de nouveaux moyens (notamment des armes et des chiens dressés). Selon des informations recoupées, le Corps mobile d'intervention (le fameux CMI) devrait être dissous au sein de la DGSN, pour être remplacé par des unités des Forces auxiliaires. “Des unités qui doivent être formées au plus haut niveau, insiste ce spécialiste des questions militaires. Puisque le Maroc veut recycler le corps des FA, autant le faire en profondeur. Un élément des FA doit être parfaitement polyvalent pour intervenir aux côtés des gendarmes, de la police, de l'armée, de la douane ou des brigades des Eaux et forêts”. Selon certains de ses collaborateurs, Laânigri plancherait également sur l'épineuse question de l'image des mroud. Nouvelles tenues, campagne de communication, formation à l'étranger… “Aucune de ces pistes n'est écartée”, dit-on au sein de l'Inspection générale. Mais combien de campagnes lui faudra-t-il pour changer une image aussi tenace, et faire disparaître des réflexes qui ont fait la particularité de ce corps si particulier ? Le nouveau mokhazni en chef détiendrait-il la recette magique pour conjurer une malédiction vieille de 50 ans ?



Formation. Comment devient-on mrda ?

Selon la blague, la chose se passerait de la manière suivante : plusieurs candidats sont regroupés sur une grande place. L'instructeur demande aux candidats bacheliers de se mettre à droite, les autres à gauche. Ceux qui restent au milieu, et qui n'ont donc même pas compris la question, sont engagés sur le champ dans les Forces auxiliaires. “Cela renseigne sur le niveau scolaire modeste, réel ou supposé, des Forces auxiliaires”, explique un militaire. En réalité, le recrutement au sein des FA suit deux processus différents. Dans le cas du candidat sous-officier, un concours est lancé par l'Inspection générale. Le candidat doit disposer au moins du niveau bac. Il suit une formation d’un an à dix-huit mois à l'école des Forces auxiliaires de Benslimane, pour devenir “moussaïd”, quatrième rang en bas de l'échelle. Pour les deuxième classe (les mokhaznis et les brigadiers), un certificat d'études primaires et une bonne condition physique suffisent. Ceux-ci reçoivent une formation de quelques mois dans l'un des centres d'instruction des FA et héritent, dans la majorité des cas, des fonctions et des postes occupés par leur parents, partis à la retraite. “Mokhazni est souvent une fonction héréditaire. Les fils de nos hommes sont les nôtres”, explique un colonel à la retraite.

Pour les officiers, c'est une tout autre histoire. Notes à l'examen du baccalauréat, taille, aptitudes physiques… les conditions d'admission sont plus strictes. Les candidats retenus par une commission de présélection des FA participent ensuite au concours d'accès au cycle des élèves-officiers de l'Académie militaire de Meknès. “Il y suivent le même cursus que tous les autres élèves. Mais les élèves-officiers des FA restent souvent la risée de leurs camarades tout au long des quatre années d'études”, explique un gradé. L'officier FA passe ensuite par un stage d'application, avant d'être affecté à son poste. Selon certaines sources internes, “plusieurs officiers des FA ont fait l'Ecole d'état-major et certains seraient même diplômés de l'Ecole de guerre”.


[Répartition géographique des forces auxiliaires]


Renseignement. Les yeux et les oreilles

Officiellement, les Forces auxiliaires disposent d'un simple service de sécurité interne (qui existe, par ailleurs, dans tous les corps d’armée). Ce dernier permet au corps de garder un œil sur les hauts gradés, leurs stocks d'armes et de munitions, etc. Mais parallèlement, les FA exercent une fonction de renseignement officieuse, mais parfaitement institutionnalisée. “Ce sont des agents qui sont partout et qui vivent dans la ville ou le village où ils sont affectés. Ils gardent la villa du gouverneur, introduisent les invités chez le caïd et tendent l'oreille dans les souks et les hôpitaux. Ils se retrouvent donc au centre d'une masse d'informations qu'ils rapportent en vrac à leurs supérieurs directs”, explique un cadre du ministère de l'Intérieur.

L'information collectée parvient ensuite jusqu'à l'Inspection générale, qui rédige à son tour des rapports “à l'attention exclusive, insiste-t-on, du ministère de l'Intérieur”. Ce n'est pas pour rien que, dans les cercles sécuritaires, on a l'habitude de présenter le mokhazni de base comme le meilleur élément des renseignements au Maroc. “On le croit naïf et inoffensif, on se méfie donc peu de lui. Cela lui permet d'être partout sans être vu ou remarqué”, affirme un officier.


[L’arsenal du mokhazni]


Plus loin. Nos indigènes à nous

Jamel Debbouze devrait sérieusement penser à tourner une suite du récent film qu'il a co-produit, Indigènes. Car l'histoire de ces braves goumiers marocains ne s'est pas arrêtée au dernier coup de canon tiré par les Allemands. Après leur retour au pays, les vieux combattants, les blessés et mutilés de guerre marocains ont eu une seconde vie, plus rock'n roll. Au lieu de se retirer dans leur petits villages oubliés, ils ont été rappelés par leurs chefs pour constituer, de bric et de broc, un corps devenu très vite la risée d'un peuple fraîchement indépendant.

50 ans durant, les héritiers des goumiers ont servi sous les ordres de tout le monde : militaires, gendarmes, chaouchs, fonctionnaires des eaux et forêts, caïds, et même quelques élus… Ils ont bouché tous les trous du système et servi de chair à canon pendant la guerre du Sahara. Ils ont été poussés à réprimer leurs propres enfants à l'entrée des stades, des cinémas ou à la sortie des lycées. Ils ont été les boucs émissaires de toutes les violences et exactions du précédent règne… et le défouloir d'un peuple opprimé, mais qui leur ressemble tant. Car au final, un mokhazni n'a jamais fait peur à personne. Avec lui, on se contente d'esquiver les coups, en lançant quelques boutades pour amuser la galerie.

Aujourd'hui, de vieux mokhaznis veulent monter une petite association d'anciens combattants des Forces auxiliaires. “On veut juste enterrer nos morts dignement”, disent-ils, en s'excusant presque. Mais de hauts gradés s'y opposent toujours. “Comment osent-ils ? Ils veulent donc se mesurer à nous autres, vrais militaires ?”, se sont-ils notamment vu répondre. Ils ont frappé à toutes les portes, en vain. Ils ont finalement attendu la naissance d'un petit prince au palais royal, pour adresser leurs félicitations à Sa Majesté le père, au nom de l'Association des anciens combattants des FA. Ils ont longtemps attendu… puis un beau jour, ils ont reçu une lettre de remerciements signée Mohammed VI, roi du Maroc. La correspondance royale n'a évidemment aucune valeur légale, mais ce jour-là, devant leurs miroirs, certains mokhaznis ont dû remettre leur fameux béret kaki, en se disant : “tgoul ghir chi jadarmi safi”.

Driss Bennani

 
 
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