République du Burundi

Burundi

République du Burundi
Republika y'Uburundi

 
Capitale: Bujumbura
Population: 7,8 millions
Langues officielles: kirundi (de jure) et français (de facto)
Groupe majoritaire: kirundi (98 %)
Groupes minoritaires: aucun (linguistiquement), sauf pour les langues étrangères telles que le français, l’anglais, le swahili, etc.
Langue coloniale: français
Système politique: république présidentielle avec forte présence militaire
Articles constitutionnels (langue): article 10 de l’Acte constitutionnel de transition de 1998; articles 1, 4 et 5 de l’accord d’Arusha pour la paix au Burundi du 28 septembre 2000
Lois linguistiques: sans objet

1 Situation géographique

Carte du Burundi Le Burundi (officiellement la république du Burundi) est un pays de hauts plateaux d'Afrique centrale situé sur la ligne de séparation des eaux du Congo et du Nil, au cœur de la région des Grands Lacs. De tous les pays voisins, c’est le Rwanda qui demeure le plus proche du Burundi, car ces deux pays partagent des identités géographiques, humaines et historiques, sans compter de nombreux particularismes linguistiques provenant d'une situation similaire avec les langues locales. Rappelons aussi que le Burundi, le Rwanda et le Congo-Kinshasa sont d’anciennes colonies belges.

Le pays est borné à l'ouest par le lac Tanganyika et, à l’exception du petit Rwanda (au nord) qui n’a que 26 000 km², le Burundi est entouré de pays immenses dont la Tanzanie (à l’est et au sud-est) avec ses 941 550 km², et surtout à l’ouest par le Congo-Kinshasa avec 2 345 410 km² (voir la carte).

D'ailleurs, le premier évêque africain du pays voisin, le Rwanda, Mgr Bigirumwami, disait à propos de la superficie de son pays encore plus petit que le Burundi: «Quand on pose le doigt sur une carte de l'Afrique pour indiquer le Rwanda, on le cache.» Il en est de même pour le Burundi.

De tous les pays voisins, c’est le Rwanda qui demeure le plus proche du Burundi, car ces deux pays partagent des identités géographiques, humaines et historiques, sans compter de nombreux particularismes linguistiques provenant d'une situation similaire avec les langues locales. Rappelons aussi que le Burundi, le Rwanda et le Congo-Kinshasa ont déjà fait partie des colonies belges. C'est donc la Belgique qui a amené le français dans ces trois pays. 

Ainsi, la situation géographique du Burundi situe cet État à la «frontière» des «pays francophones» au nord et des pays «anglophones» au sud-ouest. La capitale, Bujumbura, se trouve à l’extrémité ouest du pays, près du lac Tanganyika. Bien que le Burundi (avec une superficie de 27 834 km²) reste avec le Rwanda (au nord) l'un des plus petits États du continent, sa densité de population est l'une des plus fortes.

2 Données démolinguistiques

En 1997, la population du Burundi était estimée à 6,1 millions d’habitants, mais 7,8 millions en 2005. Les Hutus représentaient 85 % de la population, les Tutsis, 14 %, et les Twas (pygmées), 1 %. Tous les Burundais d’origine, quelle que soit leur ethnie (hutue, tutsie ou twa), parlent la même langue, soit le kirundi, une langue bantoue. Certaines théories sur l’immigration laisseraient croire que le kirundi aurait été transmis par les Hutus, alors que les Tutsis auraient perdu leur langue ancestrale depuis plusieurs siècles; dès lors, on peut s’interroger sur le fait que l’envahisseur tutsi n’aie pas cherché à imposer sa langue au lieu de l’«oublier». Quoi qu’il en soit, le kirundi est devenu aujourd’hui la langue nationale de tout le Burundi, mais cette langue est fragmentée en de nombreuses variétés dialectales, relativement intelligibles entre elles. Le kinyarwanda et le kirundi sont en réalité deux variétés d'une même unité linguistique dans le vaste ensemble des langues de la  langue bantoue. Des variétés du kinyarwanda\ kirundi sont également employées dans le pays voisin, soit le Burundi (sous le nom de kirundi), ainsi qu’en Ouganda (sous le nom de runyarwanda), en Tanzanie et au Congo-Kinshasa. 

On compte aussi des étrangers au Burundi, surtout des Africains, parmi lesquels on distingue les Rwandais, les Congolais (Congo-Kinshasa), les Tanzaniens, les Maliens et les Guinéens. Beaucoup d’entre eux parlent, outre leur langue maternelle, l’anglais, le français ou le swahili. Vivent aussi dans le pays un certain nombre d’Arabes et de Pakistanais, ainsi que des Européens qui forment une population flottante de coopérants (surtout composés de Belges, de Français, de Grecs et d’Italiens).

Si le kirundi est la langue nationale des Burundais, le français et le swahili constituent des langues véhiculaires importantes. Le français, en tant que langue co-officielle avec le kirundi — en réalité, c’est la première langue officielle —, est essentiellement appris à l’école et utilisé dans des situations formelles ou officielles. Seule une minorité de Burundais peut s’exprimer en français. Selon le sens qu’on accorde au mot francophone, on estime que les locuteurs du français oscillent entre 3 % et 10 % de la population. Cela signifie que les premiers sont des «francophones réels» (environ 170 000 locuteurs en incluant les coopérants européens), alors que les seconds ne connaissent que superficiellement cette langue. En réalité, la langue française constitue une langue véhiculaire uniquement pour les Burundais très scolarisés (les «lettrés») ayant terminé leurs études secondaires ou encore ayant poursuivi des études supérieures. Eux seuls maîtrisent les deux langues officielles. Dans les petites entreprises commerciales, le swahili reste aussi une langue importante. Il est enseigné dans les universités, utilisé dans les médias électroniques et parlé par un nombre non négligeable de jeunes urbains, de musulmans ou d'étrangers, notamment les «étrangers» d’origine africaine.

Quant à l’anglais, il est parlé par quelques Européens et certains Africains anglicisés (d'origine rwandaise, congolaise ou tanzanienne). En raison de l’ouverture du pays au marché international, surtout vers le sud, l’anglais se répand de plus en plus dans le monde des affaires en tant que langue véhiculaire.

Cela dit, au moins 15 % de la population burundaise est constituée de réfugiés (ceux qui ont quitté leur pays), de rapatriés (ceux qui sont revenus au pays), de refoulés (ceux qui sont renvoyés au pays) ou dispersés dans des camps de regroupement. Il y aurait, à ce jour, plus de 800 000 personnes déplacées suite à la «politique de déplacements» forcés du gouvernement burundais et à la guerre civile qui ravage le pays.

Selon des estimations datant de 1996, quelque 70 % de la population serait de religion chrétienne (60 % de catholiques et 9 % de protestants), alors que près du 30 % de la population serait animiste. Les musulmans représentaient environ 1% de la population. En réalité, personne ne sait exactement quels sont les adeptes de la religion traditionnelle animiste; la plupart des Burundais qui consultent les devins, les faiseurs de pluie, les sorciers, etc., portent des noms chrétiens et ont été baptisés.

3 Données historiques

L’histoire du Burundi se confond avec celle du Rwanda, du moins jusqu’à l’indépendance. Le Burundi, comme le Rwanda, aurait été peuplé vers le VIIIe siècle avant notre ère par des Batwas ou Twas, une population pygmoïde vivant de chasse dans la forêt; ces ancêtres des pygmées seraient venus de l’Ouest et parlaient une langue bantoue (qui ne serait pas le kirundi). Quelques siècles plus tard, un peuple d’agriculteurs, les Hutus, auraient cohabité avec les Tutsis, des pasteurs venus du Nord, qui se seraient installés progressivement entre les Xe et le XVe siècles. Ces trois communautés d’origines différentes se sont assimilés les unes aux autres avec le temps et ont fini par partager la même langue bantoue, le kirundi \ kinyarwanda au des Hutus, et la même religion.

À partir du XVIe siècle, la région s’organisa en royaumes dirigés chacun par un mwami (roi), qui représentait l’image d'Imana, le dieu suprême et tout-puissant. L’un des mwami, issu de la dynastie Nyiginya, finit par unifier le pays sous son autorité. Dans l'exercice du pouvoir, le mwami ne pouvait gouverner seul, d'où la mise en place de tout un système d'organisation politico-administrative, sociale et économique.

Dans chacun des districts du pays, on trouvait, en principe, un «chef des pâturages» (généralement d'origine tutsie) pour l’élevage des bovins et un «chef des terres» (généralement d’origine hutue); cette «administration» était complétée par une organisation militaire avec des «chefs d'armée» (recrutés généralement chez les Tutsis) et, dans les régiments, des «lignages» tutsis et hutus. En fait, Tutsis et Hutus avaient des terres et du bétail, bien que, si le pouvoir restait aux mains d'une aristocratie tutsie, les deux «ethnies» cohabitaient pacifiquement, car durant plusieurs siècles les Tutsis surent manier habilement la carotte et le bâton.

En somme, culturellement homogénéisés et biologiquement mélangés, les deux groupes vivaient dans une certaine complémentarité sociale, certes quelque peu inégale, mais maintenue dans une certaine cohésion nationale dynamique. Par ailleurs, situé à l’écart des grandes voies naturelles de communication, le Burundi, comme le Rwanda, échappa aux raids des chasseurs d’esclaves (ce qui explique aujourd'hui la grande densité de la population) et, jusqu’au XIXe siècle, aux grands explorateurs européens. Le Burundi atteignit sa plus grande expansion sous le règne du mwami Ntare Rugamba (1796-1850). Celui-ci dota le pays d’une puissante armée très entraînée et conquit un territoire important. Sous son règne, la société burundaise était structurée en deux classes: celle des Tutsis et celle des Hutus. Cette division correspondait avant tout à des distinctions sociales, car un Tutsi pouvait devenir Hutu et vice versa. Cette distinction entre Hutus et Tutsis se renforcera avec l’arrivée des colonisateurs allemands, puis belges.

3.1 Le protectorat allemand

C'est en 1858 que les premiers Européens, soit les Britanniques John Hanning Speke et Richard Burton, découvrirent la région; ils furent suivis par Henry Morton Stanley et David Livingstone — dont la fameuse rencontre en 1871 se serait déroulée au Burundi, près d’un rocher à 12 km au sud de Bujumbura au bord du lac Tanganyika — qui attirèrent l'intérêt sur cette région extrêmement riche, laquelle devait être bientôt soumise au régime de l'exploitation coloniale; cela dit, la rencontre des deux explorateurs a plutôt eu lieu à Ujiji, près du lac Tanganyika en... Tanzanie. Après 1879, des missions catholiques tentèrent de s’implanter dans le royaume du Burundi, puis des explorateurs allemands y séjournèrent, dont le comte Graaf von Gotzen. En 1890, les Allemands parvinrent à intégrer le Burundi (appelé alors Urundi) et le Rwanda (appelé Ruanda) à leurs possessions d'Afrique orientale — la Deutsch Ost-Afrika, englobant le Burundi, le Rwanda et le Tanganyika (Tanzanie). En 1899, les Allemands fondèrent Usumbura (aujourd’hui Bujumbura). Ces derniers imposèrent peu à peu leur protectorat au mwami Kisabo (1850-1908) qui, en 1903, signa le traité de Kiganda avec l’Allemagne.

Soucieux de ne pas trop dépenser pour leurs possessions lointaines, les Allemands optèrent pour un système d’«administration indirecte» qui plaçait le royaume sous leur contrôle. Le gouverneur allemand assurait le rôle du mwami (roi), mais s’appuyait essentiellement sur la collaboration des chefs locaux; les habitants du pays continuaient d’utiliser massivement leur langue nationale. Dès cette époque, les Allemands comprirent qu’ils devaient s’allier aux Tutsis qui dominaient la société burundaise. Voici ce qu’écrivit à ce sujet, en 1916, l’auteur allemand Hans Meyer dans Die Burundi (traduit en français sous le titre de Le Burundi, une étude ethnologique en Afrique orientale, 1984):

Tant que les Batutsis [Tutsis] seront les maîtres du pays, un essor intellectuel et culturel du peuple barundi demeure impossible, car seul ce bas niveau des Bahutus [Hutus], maintenu au cours d'un isolement séculaire, assure la domination batutsie. Pour l'instant évidemment, nous Allemands, devrons rester en bons termes avec les Batutsis et les intéresser matériellement à nos initiatives en Urundi, car nous sommes encore trop faibles pour partir ouvertement en campagne contre eux. Mais le but d'une politique coloniale à plus long terme devra être de briser la domination batutsie, de libérer les Bahutus du joug batutsi et de les gagner à nos visées civilisatrices qui correspondent aussi à leurs propres intérêts.

Cependant, les Allemands ne purent mener à bien leurs «visées civilisatrices», car ils perdirent peu après leur colonie de la Deutsch Ost-Afrika. Pour ce qui est de la langue, l’influence allemande fut même tout à fait négligeable, mais il est resté quelques germanismes dans le kirundi. La véritable influence des Allemands fut d’avoir introduit l’Église catholique qui, en tant qu’alliée du pouvoir politique, allait prendre la relève dans les secteurs de l’enseignement et de la santé, et connaître par la suite un immense succès social. On sait que, dès les années 1930, plus de 70 % des Burundais seront déjà convertis à la religion catholique. Ainsi, le Burundi allait devenir avec le Rwanda un front de résistance à l’islam.

3.2 Le mandat belge et l’Église catholique

En 1916, les Belges, avec l'aide des Britanniques, amputèrent une partie du Rwanda qu’ils placèrent sous leur «protectorat», tandis que les Britanniques annexaient les districts septentrionaux à leur colonie d’Ouganda. Les forces anglo-belges finirent par envahir toute la colonie allemande, c'est-à-dire le territoire du Ruanda-Urundi. 

Après la défaite de l’Allemagne en 1918, le traité de Versailles rendit les colonies allemandes aux pays vainqueurs. Sous mandat de la Société des Nations (SDN), la Grande-Bretagne se vit confier l’administration du Tanganyika (Tanzanie), la Belgique, celle du Ruanda-Urundi (Rwanda-Burundi) administré à partir de Bujumbura, devenue capitale du mandat belge du Ruanda-Urundi (aujourd'hui, le Rwanda et le Burundi). 

Au début du mandat belge en 1916, l’Administration reprit la politique de «contrôle indirect» sur le Burundi et continua de s'appuyer sur les autorités en place, c’est-à-dire le mwami et l'aristocratie tutsie. Le gouvernement colonial belge confia définitivement à l’Église catholique tout le secteur scolaire et le domaine de la santé.

- Le rôle de l'Église catholique

L’Église combattit aussitôt la religion traditionnelle (païenne) basée sur le culte de Kiranga et mit tout en oeuvre pour affaiblir, puis supprimer la théocratie burundaise (et rwandaise). Adoptant les pratiques des autorités civiles belges, l'Église catholique favorisa les Tutsis considérés comme les «élites» du pays. Elle assura leur «conversion» au catholicisme en leur enseignant qu’ils formaient les «seigneurs féodaux» (évolués et apparentés à la race blanche), alors que les Hutus et leurs chefs étaient des «serfs» (négroïdes et sauvages) voués à la domination. 

Le mythe des «Tutsis évolués» et des «Hutus faits pour obéir» fut méthodiquement véhiculé pendant plusieurs décennies par les missionnaires, les enseignants, les intellectuels et les universitaires, qui accréditèrent cette vision de la société rwandaise jusqu’à la fin des années soixante. Le résultat de cette «mission civilisatrice» fut de donner aux Tutsis un pouvoir qu'ils n'avaient jamais connus avant la période coloniale et d'entraîner chez les Hutus une exploitation sans commune mesure avec leur situation traditionnelle.

L’arrivée des prêtres de la Société des Missionnaires d’Afrique, dite des «Pères Blancs», en 1931 vint bouleverser la vie des autochtones, car l’Église catholique entreprit l’évangélisation massive des habitants et tenta d’éliminer toute concurrence.

Dès leur arrivée, les Pères Blancs introduisirent l'alphabet latin et une orthographe commune pour le kirundi du Burundi et le kinyarwanda du Rwanda. Grâce à l’étroit contact qu’ils développèrent auprès des populations autochtones, les missionnaires ont vu leur implantation facilitée: en parlant le kirundi et en s’intégrant aux Burundais, ils ont réussi à acquérir une très forte influence sociale, économique, mais également politique. Les missionnaires catholiques obtinrent du gouvernement belge la suppression de la fête religieuse nationale du Muganuro et la destitution de l’aristocratie religieuse hutue au profit des familles princières tutsies. L’appartenance à la religion catholique devint un critère incontournable pour accéder ou rester dans la fonction de chef. Évidemment, beaucoup de «chefs païens» se convertirent à la religion catholique. Signe éclatant de l’implantation du catholicisme au Burundi: en vingt ans, plus de 70 % des Burundais devinrent catholiques. Le français demeura la langue officielle, car, la plupart des missionnaires étaient francophones (ou wallons). Cependant, une nouvelle génération de prêtres flamands, d’origine plus modeste que leurs collègues francophones (ou wallons), s’identifia davantage aux Hutus et entreprit de former une contre-élite hutue, et leur apprit le néerlandais. Ces Hutus devinrent les leaders de la «nation hutue» et s’impliquèrent dans la politique active.

- L'Administration coloniale belge

Le gouvernement colonial décida en 1925 de modifier l’administration du Rwanda et du Burundi. Les fonctions de chef devinrent héréditaires. Puis l’Administration coloniale belge décida que, à travers tout le Burundi (et le Rwanda), les chefs devaient être des Tutsis qui étaient «plus aptes à gérer» le pays. En 1929, il fut même créé une «école de fils de chef» (celle d’Astrida) afin d’assurer la pérennité du système. Les jeunes Tutsis pouvaient aller à l’école (en français et en kirundi), tandis que les fils des Hutus n’avaient que la possibilité de devenir agriculteurs comme leurs parents. Par exemple, dans les écoles coloniales, on apprenait l'arithmétique et le français aux enfants tutsis mais le chant aux petits Hutus. Par la suite, les Belges imposèrent la fameuse carte d’identité (1933-1934) avec la mention ethnique Tutsi ou Hutu, ce qui eut pour effet d’accentuer la distinction sociale entre les deux ethnies, laquelle se transformera plus tard en ségrégation «raciale».

Ainsi, les Tutsis bénéficièrent d’avantages considérables aux dépens des Hutus. Les Hutus furent soumis aux travaux forcés dans les plantations, les chantiers de construction, les scieries, etc. Les Tutsis avaient l’ordre de fouetter les Hutus, sinon ils risquaient de se faire fouetter eux-mêmes par les colons belges. L’Administration coloniale exigea même que tout propriétaire de dix vaches et plus soit considéré comme un Tutsi, les autres demeurant automatiquement des Hutus. C’est alors que les Tutsis pauvres devinrent des Hutus et que les Hutus riches devinrent des Tutsis. Une telle dichotomie entre Tutsis et Hutus n’existait pas auparavant puisqu’un Hutu qui possédait plusieurs têtes de bétail pouvait, de ce fait, être tutsifié, de même que pouvaient se produire des phénomènes de détutsification ou de hutusification.

Implantée dès 1945, cette «décision administrative» du colonisateur belge finit par diviser encore davantage la société burundaise (et rwandaise) de l’époque, car cette distinction signifiait que les riches étaient des Tutsis et les pauvres, des Hutus. Les deux communautés autochtones, qui avaient vécu en paix durant plusieurs siècles, en vinrent à se détester en raison des rivalités suscitées par les décisions du colonisateur blanc. La politique institutionnalisée véhiculée par le colonisateur avait développé chez les Tutsis un complexe de supériorité, alors que chez les Hutus un puissant sentiment de rancoeur et de haine s’était installé. Enfin, l’imbrication très étroite de l’Église et de l’État devint telle qu’on peut parler d’une «Église d’État».

- Les mouvements de décolonisation et le changement d'allégeance ethnique

Après la Seconde Guerre mondiale, les mouvements de décolonisation atteignirent le Burundi et le Rwanda. Plus instruite et s’estimant apte à diriger la pays, l’élite tutsie en vint à souhaiter le départ des Belges. Pour leur part, les Hutus, tout en demandant que l’indépendance soit retardée, dénoncèrent la «double colonisation» dont ils avaient été victimes: celle des Tutsis (antérieurement, d'après eux), puis celle des Belges. Il exigèrent que les Belges les débarrassent de cette première colonisation qu’ils estimaient «inacceptables». 

Se sentant trahis par leur élite tutsie devenue anti-colonialiste, le pouvoir colonial et l’Église catholique décidèrent, au début des années cinquante, de favoriser les Hutus, plus soumis et plus malléables. Les Tutsis furent désormais considérés comme des «ennemis» de l’Église et de l’État. L’Église amplifia le mouvement et, à partir de 1957, soutint ouvertement les mouvements hutus qui réclamaient des réformes sociales. Détenant le monopole de l’enseignement, l’Église encouragea la formation d’une élite contestataire hutue.

En 1959, commença dans le pays voisin, le Rwanda, une véritable «révolution sociale» qui, s’inspirant des leçons apprises par les pouvoirs belges et les représentants de l’Église catholique, amena le remplacement du «pouvoir minoritaire tutsi» par le «pouvoir majoritaire hutu». En favorisant systématiquement la notion de «démocratie majoritaire», l’Administration coloniale et l’Église catholique firent monter les tensions entre les deux communautés ethniques et laissèrent se développer les rivalités entre Tutsis et Hutus. La guerre civile éclata au Rwanda en 1959, alors que les Tutsis furent pourchassés et massacrés par milliers. Plus de 170 000 Tutsis se réfugièrent vers l’Ouganda, la Tanzanie, le Burundi et le Congo-Kinshasa). La prise du pouvoir par les Hutus au Rwanda entraîna le départ du mwami et l’exode de plus de 200 000 Tutsis vers l’étranger.

Au Burundi, les Hutus n’eurent guère la possibilité de prendre le pouvoir. Inquiets de la situation au Rwanda, les Tutsis du Burundi prirent immédiatement les devants et accaparèrent le pouvoir politique et l’armée. Ne pouvant éviter les conflits ethniques, les Tutsis se laissèrent entraîner dans la spirale de la répression, surtout après l’assassinat du prince Louis Rwagasore en 1961, un chef charismatique opposé à la discrimination raciale et qui avait combattu toute transposition de la crise du Rwanda au Burundi.

3.3 Après l’indépendance

Le Burundi accéda à l’indépendance le 1er juillet 1962 et devenait une monarchie constitutionnelle, le tout dans un climat de conflits ethniques accentués par la crise du Rwanda et la rébellion au Congo belge (Congo-Kinshasa). En fait, l’accession à l’indépendance marqua le début de 30 ans d’instabilité politique au cours desquels se succédèrent de nombreux coups d’État de la part des militaires tutsis et des insurrections hutues suivies de massacres massifs des insurgés (1965, 1972, 1988, 1992). De là à penser que les politiciens congolais avaient hérité davantage des défauts que des qualités belges pour assurer la gestion des institutions nationales, il n’y eut qu’un pas... vite franchi. Le français resta la langue officielle du Burundi au lendemain de l’accession à l’indépendance.

- De coup d'État en coup d'État

En 1966, la monarchie fut abolie et la république proclamée par le capitaine tutsi Michel Micombero qui prit le pouvoir et fut nommé président. À la suite d’une insurrection des Hutus en 1972, l’armée tutsie, dans un réflexe de sécurité ethnique, massacra entre 100 000 et 150 000 Hutus et exclut les Hutus des sphères du pouvoir et de l’administration du pays. 

En 1976, un coup d’État (par le Tutsi Jean-Baptiste Bagaza) évinça Michel Micombero, qui fut suivi d’un autre coup d’État en 1987 au cours duquel le Tutsi Pierre Buyoya prit le pouvoir à la tête d’un «Comité militaire de salut national». De nouveaux conflits ethniques secouèrent le Burundi en 1988; l'armée tutsie massacra encore plusieurs dizaines de milliers de Hutus, alors que 45 000 autres se réfugièrent au Rwanda. 

En juin 1993, eurent lieu les premières élections libres; Melchior Ndadaye, le premier président hutu du Burundi, fut élu, puis assassiné quelques mois (le 21 octobre) plus tard, lors d'un coup d'État perpétré par des militaires tutsis, ce qui déclencha à nouveau les massacres. Les Tutsis, accusés d'avoir assassiné le président, ont commencé à être exterminés en grand nombre, mais l’armée tutsie réussit à prendre le dessus. À nouveau, des dizaines de milliers de Hutus furent chassés vers le Rwanda voisin. 

Le nouveau président, Cyprien Ntaryamira, un autre Hutu, succéda à Ndadaye et tenta de mettre un terme à la répression menée par l'armée dominée par les Tutsis. Le 6 avril 1994, il fut tué à son tour, en même temps que le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, dans un «accident d’avion» causé par un missile au-dessus de Kigali (au Rwanda). Le génocide des Tutsis (au moins 600 000 morts) qui s’ensuivit au Rwanda exacerba les Tutsis du Burundi qui, pour leur part, contrôlaient le pouvoir politique et l’armée dans leur pays. Les massacres des Tutsis rwandais ont servi à justifier les massacres des Hutus burundais.

Depuis, le Burundi est en proie à une guerre civile larvée. En mars 1996, le rapporteur spécial des Nations unies, chargé d'enquêter sur la situation au Burundi, estimait à 15 000 morts (juste pour l’année 1995), le nombre des victimes d'un «génocide au compte-gouttes», touchant plus particulièrement les élites (instituteurs, infirmiers, etc.). En janvier 2000, les pertes en vies humaines étaient évaluées, depuis avril 1994, à plus de 300 000 victimes. De son côté, l’organisation Amnistie Internationale a dénoncé les conditions dans lesquelles vivaient les 70 000 réfugiés rwandais dans les camps du Burundi; selon cet organisme, quelque 1500 réfugiés étaient tués chaque mois par les forces de sécurité burundaises ou par les milices tutsies.

En juillet 1996, l'ancien président Pierre Buyoya prit le pouvoir et chassa le président hutu. Les pays voisins, suivis par la communauté internationale, décrétèrent un embargo, tandis que la rébellion hutue gagnait plusieurs régions du pays.

- L'accord d'Arusha

Le 28 septembre 2000, le Conseil de sécurité de l'ONU est parvenue, à Arusha (Tanzanie), à faire accepter un accord sur une déclaration officielle demandant à toutes les parties burundaises (19 délégations) de cesser les combats et d'appliquer l’Accord d’Arusha pour la paix au Burundi. Cependant, trois délégations (sur 19) provenant des mouvements radicaux (deux délégations hutues et une tutsie) ont refusé de signer le texte. Le gouvernement burundais s’est dit prêt à appliquer l’accord d’Arusha, mais de nombreux obstacles persistent encore et devront être surmontés avant sa mise en oeuvre définitive.

Il n’en demeure pas moins que tout le Burundi continue de vivre dans la terreur, tandis que 800 000 personnes vivent dans des «camps de regroupement». Dans les campagnes au sud, près de la frontière avec la Tanzanie, les Tutsis (14 % de la population) se sont réfugiés dans les agglomérations, sous la protection de l'armée qu'ils contrôlent en majorité, tandis que les Hutus (85 % de la population) vivent reclus sur les collines, dont ils interdisent l'accès aux militaires. Mais au centre, à l'est et surtout au nord du pays, ces régions sont sûres, et les Tutsis, ou ce qu'il en reste, demeurent sur les collines avec leurs voisins hutus. 

Le Burundi est sur la liste noire des pays où les violations massives des droits humains sont les plus intolérables et constituent un drame humanitaire révoltant. Non seulement, le Burundi vit dans des conditions d’extrême précarité, mais les Burundais sont devenus parmi les habitants les plus pauvres de l’Afrique. C’est pourquoi beaucoup de Burundais sont convaincus que les dirigeants en place ne manifestent pas de réelle volonté politique pour trouver une solution à la guerre qui frappe cruellement le pays, ainsi qu’à la recrudescence des fléaux tels que la faim, le sida, le paludisme, etc.

Cela dit, le  partage du pouvoir entre la minorité tutsie et la majorité hutue s'annonce difficile, après 11 ans de guerre civile. En juillet 2004, le principal parti tutsi a rejeté l'accord présenté par la médiation sud-africaine à Pretoria. L'équilibre devait assuré sur une base ethnique, et l'Assemblée nationale devait être composée de 60 % de Hutus, de 40 % de Tutsis et de trois députés des Twa, tout comme le nouveau Conseil des ministres.

4 La politique linguistique du Burundi

Il ne serait pas exagéré de dire que le Burundi actuel n’a pas de politique linguistique, sinon la non-intervention. En effet, aux prises avec des conflits ethniques incessants depuis l’indépendance, les dirigeants politiques qui se sont succédé ont eu bien autre chose à faire que de s’occuper des questions linguistiques.

4.1 Les textes juridiques

Rappelons tout d’abord que, durant plus d’une vingtaine d’années depuis l’indépendance (1962), le Burundi fut gouverné sans constitution, c’est-à-dire de 1966 à 1974, puis de 1976 à 1981, de 1987 à 1992, et de 1996 à 1998. La Constitution du 13 mars 1992 a été suspendue le 25 juillet 1996 par le nouveau régime transitoire pour être remplacée par le décret-loi no 1/001/96 du 13 septembre 1996 portant sur l'organisation du système institutionnel de transition. Depuis 1998, le décret-loi de 1996 porte maintenant le nom de Acte constitutionnel de transition.

- Les dispositions constitutionnelles de 1998

L’Acte constitutionnel de transition de 1998 constitue la loi fondamentale jusqu'à la date de la promulgation d'une véritable constitution. Ce texte de transition reprend dans l’ensemble les dispositions de la Constitution de 1992 relatives aux droits de l'homme et à la langue. Seul l’article 10 mentionne expressément une disposition concernant la langue:

Article 10

1) La langue nationale est le Kirundi. 

2) Les langues officielles sont le Kirundi et les autres langues déterminées par la loi.

Juridiquement parlant, le texte ne mentionne plus que le français est l’une des langues officielles du Burundi avec le kurundi. Ainsi, seul le kurundi reste une langue officielle de jure. Cependant, le français demeure l’une des deux langues officielles dans les faits (ou de facto). Qui plus est, le français est même demeuré la «première langue officielle», alors que le kirundi conserve le rang de «seconde langue officielle». Certains croient que l’expression «et les autres langues déterminées par la loi» constitue une façon de faire entrer l’anglais au pays, comme ce fut la cas au Rwanda et au Congo-Kinshasa.

- L’accord d’Arusha de 2000

L’Accord d’Arusha pour la paix au Burundi, c’est-à-dire l’accord signé en Tanzanie par 16 des 19 délégations burundaises en présence du président sud-africain, Nelson Mendela, prévoit également des dispositions à caractère linguistique. Ainsi, les articles 1 et 4 interdisent toute discrimination, quelle que soit la race ou la langue, la religion, l’origine ethnique, etc.:

Article 1

Tous les Burundais sont égaux en mérite et en dignité. Tous les citoyens jouissent des même droits et ont droit à la même protection de la loi. Aucun Burundais ne sera exclu de la vie sociale, économique ou politique de la nation du fait de sa race, de sa langue, de sa religion, de son sexe ou de son origine ethnique.

Article 4

Toutes les femmes et tous les hommes sont égaux. Nul ne peut être l'objet de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son ethnie, de son sexe, de sa couleur, de sa langue, de sa situation sociale, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ou du fait d'un handicap physique ou mental. Tous les citoyens sont égaux devant la loi, qui leur assure une protection égale.

Évidemment, on se demande bien à quoi peut bien servir présentement cette disposition, puisque les faits démontrent que la discrimination constituent le fondement actuel de la société burundaise. Mais on peut espérer que de nouvelles réformes permettront d’appliquer cette disposition qui engagerait le pays vers une paix bien méritée.

Par ailleurs, l’article 5 de l’accord d’Arusha reprend les dispositions de l’article 10 de l’Acte constitutionnel de transition de 1998, mais remplace les mots «les autres langues déterminées par la loi» par «toutes autres langues arrêtées par l'Assemblée nationale»:

Article 5

La langue nationale est le kirundi. Les langues officielles sont le kirundi et toutes autres langues arrêtées par l'Assemblée nationale.

Pour le moment, le français reste la langue officielle de facto au Burundi. C’est la langue de toutes les situations formelles et la grande langue écrite, que ce soit à l’Assemblée nationale, à la Présidence, dans les médias écrits et électroniques, les écoles, les universités, le commerce international, etc.

Pour ce qui est de l’affichage public, les enseignes des organismes gouvernementaux, administratifs, services de santé, etc., sont généralement rédigées seulement en kirundi. Seuls les établissements d’enseignement ne paraissent qu’en français. Quant aux plaques odonymiques (noms de rue), elles sont en français à Bujumbura: par exemple, Rue de la Mission, Rue de la Victoire, Boulevard du 28 novembre, Chaussée Peuple Murundi, Avenue de l'Université, mais aussi Rue Buragane, Rue Makamba, Rue Ruvubu, etc. À Kigali et dans plusieurs villes, les plaques sont bilingues (français-kirundi).

4.2 Les langues du Parlement, de la justice et de l’Administration

À l’Assemblée nationale, le français (surtout) et le kirundi constituent les deux langues des débats, puis les lois sont rédigées en français, parfois en kirundi. Dans les tribunaux, les juges utilisent la langue nationale, le kirundi, avec les justiciables, mais rédigent leur compte rendu en français. Les cours de haute instance n’utilisent en principe que le français, mais les justiciables peuvent s’exprimer dans la langue de leur choix; là aussi, les procès-verbaux ne sont rédigés qu’en français.

Dans les communications orales, les problèmes sont inexistants entre les fonctionnaires et les services à la population, puisque tous les Burundais parlent le kirundi. Ce sont les documents écrits qui font problème, car fort peu de textes officiels sont disponibles en kirundi. Ainsi, la plupart des gens ne peuvent lire ni formulaires, ni circulaires, ni règlements, etc., parce qu’ils ne connaissent pas suffisamment le français. Les papiers officiels tels que les passeports, cartes d’identité, monnaie, etc., sont rédigés dans les deux langues officielles. De façon générale, la langue de travail entre les fonctionnaires demeure le français. Cependant, le kirundi est resté la langue orale des Forces armées burundaises contrôlées par les Tutsis.

Pour ce qui est de l’affichage public, les enseignes des organismes gouvernementaux, administratifs, services de santé, etc., sont généralement rédigées seulement en kirundi. Seuls les établissements d’enseignement ne paraissent qu’en français. Quant aux plaques odonymiques (noms de rue), elles sont en français à Bujumbura: par exemple, Rue de la Mission, Rue de la Victoire, Boulevard du 28 novembre, Chaussée Peuple Murundi, Avenue de l'Université, mais aussi Rue Buragane, Rue Makamba, Rue Ruvubu, etc. Dans d'autres villes, elles peuvent être bilingues (français-kirundi).

4.3 Les langues de l’éducation

À la suite des événements dramatiques qui ont secoué le Burundi depuis plusieurs années (surtout depuis 1993-1994), le système scolaire s'est en grande partie effondré. Beaucoup d’écoles ont été détruites ou sérieusement endommagées, les autres ne fonctionnant que de façon partielle en raison des dégâts matériels (par exemple, le mobilier scolaire ayant été utilisé pour le chauffage) et de l’insécurité de la population. Souvent, les bâtiments scolaires ont été «réquisitionnés» par les milliers de personnes déplacées à la recherche d'un abri. Une bonne partie de la population hutue est réfugiée dans les collines et se cache depuis des années, et dans ce contexte de nombreux parents sont réticents à envoyer leurs enfants à l’école.

Environ un enfant sur deux ne fréquente pas l’école primaire et il semble que les fillettes soient encore plus exposées à ce genre d’exclusion. De plus, bien que la contribution financière demandée aux parents pour l'école primaire soit relativement accessible — quelque 500 à 700 francs burundais (un dollar américain s’échangeant à 640 Fbu au taux officiel —, c’est encore trop pour ceux qu’on appelle les «indigents». Des directeurs d'école renvoient encore chez eux les «élèves indigents» qui n'ont pas payé leur minerval (belgicisme désignant les «frais de scolarité»), ce qui est contraire aux directives ministérielles qui interdisent la discrimination à l'encontre des «enfants indigents». Toutes ces difficultés entraînent une sous-scolarisation. Il en résulte que seulement 35,3 % des enfants burundais sont alphabétisés, soit l’un des plus bas de toute l’Afrique (contre 60,5 % au Rwanda voisin, 77,3 % au Congo-Kinshasa, 51,7 % au Togo). Depuis quelque temps, le gouvernement burundais a mis sur pied des «écoles temporaires» dans de nombreuses agglomérations afin d’accroître la fréquentation scolaire.

Rappelons que l’article 34 de l’Acte constitutionnel de transition de 1998 reconnaît que les parents ont le droit et le devoir d'éduquer et d'élever leurs enfants, et qu'ils sont soutenus dans cette tâche par l’État:

Article 34

Tout citoyen a droit à l'égal accès à l'instruction, à l'éducation et à la culture. L'État a le devoir d'organiser l'enseignement public. Toutefois, le droit de fonder les écoles privées est garanti dans les conditions fixées par la loi.

Cependant, lorsque les enfants burundais commencent à fréquenter l’école primaire, il n’est pas dit qu’ils termineront leurs études. En effet, seulement la moitié de la population mâle (52 % des garçons) termine ses études primaires, alors que c’est 32 % pour les filles, parfois moins. Au secondaire, quelque 10 % des garçons commencent leurs études secondaires, et seulement 3,6 % des filles.

Le premier cycle du primaire (trois ans) est consacré à apprendre l’arithmétique, la lecture et l’écriture, le tout en kirundi. De fait, la kirundisation de l’enseignement est totale au début du primaire, et ce, depuis 1973, et les manuels sont en kirundi. Le deuxième cycle, également d'une durée de trois ans, marque le début d’un enseignement en français; celle-ci demeure normalement le français, mais le maître peut à tout moment expliquer les notions difficiles en kirundi. La situation change au secondaire, car la seule langue d’enseignement autorisée reste le français; le passage entre le primaire et le secondaire est plus difficile pour la plupart des élèves. Dans beaucoup d'écoles secondaires, il est encore obligatoire pour les élèves de s'adresser aux éducateurs en français, car cela les obliger à améliorer leur niveau d'expression. Cependant, comme la plupart des élèves ne terminent pas leurs études secondaires, très peu d’entre eux réussissent à apprendre convenablement le français. Précisons que le kirundi est néanmoins enseigné en tant que matière jusqu’à la fin des «humanités» (belgicisme désignant la fin du lycée).

De plus, en raison de la situation géopolitique du Burundi en Afrique, le gouvernement a tenté d’introduire un enseignement en anglais en même temps que le français dans certaines écoles urbaines (surtout à Bujumbura). Le ministère de l'Éducation a également mis en place des cours intensifs de français et d'anglais dans un certain nombre d’écoles secondaires. Pour le moment, ces élèves reçoivent en moyenne trois ou quatre heures d’anglais par semaine durant six ans. À plus long terme, il est prévu que les élèves burundais puissent s'exprimer en français et en anglais. Cependant, pour le moment, il y a loin de la coupe aux lèvres, car il faut faire face à la grave pénurie du corps professoral apte à enseigner en anglais.

Dans les universités, notamment à l’université du Burundi à Bujumbura, le français constitue généralement le seule langue d’enseignement, sauf, bien sûr, dans les programmes de langues étrangères. Ainsi, le Département de langue et littérature anglaise de la faculté des lettres et sciences humaines offre, depuis plus de trente ans, un programme de formation en anglais d’une durée de quatre ans destiné généralement aux futurs enseignants en anglais (écoles secondaires).

4.4 Les médias et la vie économique

Des quelque 40 titres de journaux paraissant entre août 1991 et juin 1996, seuls quatre continuent de paraître régulièrement aujourd'hui. Il s'agit du quotidien national de langue française Le Renouveau du Burundi, propriété de l'État, de l'hebdomadaire privé d'information et d'analyse L'Avenir publié depuis le 1er juillet 1997, de l'hebdomadaire en langue kirundi Ubumwe diffusé par l’État et du bimensuel Ndongozi y'Uburundi appartenant à l'Église catholique. Subsistent aussi d'autres journaux à parution fort irrégulière, comme le bimensuel privé Le Patriote. De façon générale, la presse écrite reste contrôlée de près par le gouvernement. Plusieurs titres de périodiques paraissent en kirundi.

L'espace audiovisuel est occupé par trois radios et une télévision privées. Ainsi, à côté de Télé 10 Burundi (français, anglais, swahili, etc.), émettent Radio-Culture (français), Radio-Umwizero ou Radio de l’Espoir (kirundi, swahili et français) et Radio-CCIB FM+ (français). Des radios internationales comme la British Broadcasting Corporation (anglais et kirundi), et la Voix de l’Amérique (français et kirundi), sont présentes sur la bande FM, ainsi que Radio France Internationale qui n’émet qu’en français.

En ce qui a trait à la vie économique, les Burundais sont très pragmatiques. Dans la vie quotidienne, le kirundi et le swahili à Bujumbura sont les langue des affaires et des communications normales. Dans les contacts plus formels, le français est privilégié, mais le swahili (à Bujumbura) et l’anglais peuvent aussi servir de langue véhiculaire. Les enseignes commerciales dans le centre-ville de Bujumbura sont généralement en français, mais il en existe également en anglais ou en swahili, les deux premières langues se disputant la préséance. Les affichettes des petits commerçants dans les centres urbains sont rédigées plutôt en swahili, la langue des affaires par excellence, mais à l’intérieur du pays elles sont en kirundi. Le français reprend ses droits sur les chantiers de construction, les affiches indiquant le nom du propriétaire, l'entreprise de construction, le maître d'oeuvre, le financement du projet, etc. À l’entrée des usines, du port ou de l'aéroport, tout paraît en français.

Rappelons que la situation géographique du Burundi le situe à la «frontière» des pays francophones et anglophones, la «ligne Maginot linguistique» dit-on, ce qui rend ce petit pays plus vulnérable à l’influence de l’anglais. Bien qu’il ait été traditionnellement un «pays francophone», le Burundi subit depuis plusieurs années les assauts de l’expansion anglophone de la part du Rwanda, de la Tanzanie, de l’Ouganda, mais aussi du Royaume-Uni et des USA, et ce, dans la mesure où la Belgique semble avoir abandonné depuis plusieurs années son ancienne colonie. L’hypothèse du «complot anglo-saxon» occupe depuis longtemps les esprits, du moins si l’on en croit les propos tenus en 1957 par l'ex-président français François Mitterrand, alors qu'il était ministre de la Justice (cabinet Guy Mollet): «Tous les ennuis que nous avons eus en Afrique occidentale française n’ont rien à voir avec un désir d’indépendance, mais avec une rivalité entre les blocs français et britannique. Ce sont des agents britanniques qui ont fomenté tous nos ennuis.» À supposer que le complot soit réel, il y a plus grave!

Selon un observateur de Médecins sans frontières, voilà plusieurs années (depuis 1990) que les Britanniques rêvaient de supplanter les Français et les Belges dans la région des Grands Lacs. Depuis la fin de la guerre froide, l'Afrique est même devenue plus «visible» pour les États-Unis, et les relations bilatérales que la France a longtemps entretenues avec de nombreux pays du continent s'en trouvent ainsi profondément modifiées (lire diminuées). D’ailleurs, en mars 1998, le voyage en Afrique du premier président américain (Bill Clinton) à visiter ce continent est venu encore confirmer que les «terres francophones» s'ouvrent maintenant à la compétition politique, économique et culturelle. La preuve en est que maintenant ce sont les Américains qui soutiennent militairement le Burundi, et ce, de manière très active.

Par ailleurs, la Francophonie est relativement mal perçue au Burundi comme au Rwanda, notamment en raison du rôle suspect que la France aurait joué dans les événements reliés au génocide de 1994 au Rwanda. Quant aux évêques catholiques, ils semblent complètement indifférents à la Francophonie internationale. L’Église du Burundi, l’une des grandes puissances économiques du pays, entretient même des relations vieilles de plusieurs décennies avec les Églises d'Angleterre, de Suède, de Norvège, des USA, etc., c’est-à-dire des relations privilégiées avec le monde chrétien anglophone ou anglophile. N'oublions pas que 90 % des Burundais ne connaissent pas le français. Tous ces facteurs vont donc peser lourdement sur l'avenir de la francophonie burundaise... ou ce qu’il en reste. Le poids de l’histoire et la force de l’inertie laisseraient croire que le français pourrait conserver ses anciennes prérogatives. Toutefois, plusieurs considérations actuelles portent à penser que c’est le français qui pourrait bien être évincé.

On assisterait actuellement dans la région des Grands Lacs à une «offensive américano-britannique» afin d’y imposer l’anglais. Or, on sait que, une fois que l’anglais est admis comme langue officielle au sein d’une organisation internationale ou nationale, les Américains, souvent aidés des Britanniques, font tous les efforts nécessaires pour éliminer les autres langues qui ne deviennent que des véhicules de traduction. Pensons à ce qui se passe présentement au Rwanda et au Congo-Kinshasa, alors qu’on essaie subtilement de faire entrer le «loup dans la bergerie» (l’anglais). Mais voilà que la Belgique semble maintenant vouloir renouer avec ses anciennes colonies au moment où les Anglo-Saxons envahissent le Burundi, le Rwanda et le Congo-Kinshasa. Comment la Belgique va-t-elle recoller les morceaux pour récupérer l’espace économique en détresse et l’influence culturelle perdue? De toute façon, l’«invasion de l’anglais» au Burundi est loin d’être avancée et sa situation ne se compare pas à celle du Rwanda.

Si l’on fait exception des rivalités entre langues coloniales, le Burundi n'a pas de réels problèmes avec ses minorités linguistiques, car il s'agit avant tout de minorités ethniques. Au plan de la politique linguistique, ce sont des problèmes de préséances linguistiques coloniales ou ethniques (entre Tutsis et Hutus). Le Burundi n'est pas le seul État au monde à connaître ce genre de difficultés ethniques — pensons au Rwanda, à l'Afrique du Sud, à l'Éthiopie, à l'Érythrée, etc. —, mais ce pays semble pour le moment incapable de trouver des solutions qui exigent la participation de toutes les couches de la population à la gestion du pays.

Dernière mise à jour: 27 mai 2009
 

Bibliographie


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[http://www.undp.org/rba/special/frnagfiii/burund3f.htm].

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CHRÉTIEN, Jean-Pierre. «Interprétations du génocide de 1994 dans l’histoire contemporaine du Rwanda» dans Clio en Afrique, Paris, été 1997, [http://up.univ-mrs.fr/~wclio-af/numero2/sources/index.html].

DE L’ESPINAY, Charles. «Les Églises et le génocide dans la région des Grands Lacs est-africains», Paris, sans date, [http://www.u-paris10.fr/gdr1178/lesp-egl.htm].

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HAVUGIMANA, Emmanuel. Échanges de documents par courrier électronique, février 2001.

WILLAME, Jean-Claude. Les Belges au Rwanda, le parcours de la honte, Bruxelles, GRPI/Complexe, 1997, 216 p.