Des Hommes et des Dieux : entretien avec le rĂ©alisateur, Xavier Beauvois

Cinéma

Des Hommes et des Dieux : entretien avec le rĂ©alisateur, Xavier Beauvois

par Nicole Salez, jeudi 9 septembre 2010

"Des Hommes et des Dieux", film de Xavier Beauvois, grand prix du jury au festival de Cannes 2010, sort au cinĂ©ma le 8 septembre 2010. Dans cet entretien, Xavier Beauvois nous parle de la prĂ©paration du film, de sa façon d’aborder le sujet, de ses inspirations, de ses Ă©changes avec l’Ă©quipe, les acteurs, des lieux du tournage. Il rĂ©sume son film en trois mots : LibertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ© !

Xavier Beauvois : © Mars Distribution

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Vos films, et particulièrement celui-lĂ , doivent-ils ĂŞtre des aventures humaines avant d’être des aventures artistiques ?

Je vis chaque film comme une aventure. C’est la raison pour laquelle les gens aiment bien tourner avec moi : ils n’ont pas juste participĂ© Ă  un film, ils ont vĂ©cu quelque chose… de fort, un peu rock’n’roll.

Cette mĂ©thode vous paraĂ®t-elle indispensable ?

Non, on peut ĂŞtre assez immonde comme Pialat, provoquer un psychodrame permanent et faire de très beaux films. Mais je suis paresseux : avec moi, il faut que ce soit le plus gentil, le plus simple, le plus drĂ´le possible. Je ne veux pas que ce soit la guerre, mais que tout le monde prenne du plaisir et soit heureux.

Vous dites souvent que sur chaque nouveau sujet, vous ĂŞtes ignorant.

Je sais que je ne sais pas. Pour ce film, après avoir lu le scĂ©nario d’Etienne Comar, j’ai rencontrĂ© un thĂ©ologien, j’ai engagĂ© un conseiller monastique, Henry Quinson, avec qui j’ai relu le scĂ©nario pour essayer de comprendre ce qu’est la foi, la vie monastique, le mystère pascal par exemple. Je suis assez ignorant au dĂ©but, mais très vite j’en sais plus que les autres, ce qui est la moindre des choses lorsqu’on a la prĂ©tention de faire se dĂ©placer les gens au cinĂ©ma : il faut ĂŞtre plus fort, travailler plus.

Qu’avez-vous lu pendant la prĂ©paration ?

Tout ce que je pouvais lire sur le sujet, mais surtout un livre de John Kaiser qui raconte toute l’histoire de l’AlgĂ©rie et des frères : c’était devenu notre Bible. J’ai Ă©galement lu les Ă©crits de Christian de ChergĂ©, ceux de frère Christophe, des extraits de la Bible et du Coran. Toutes les diffĂ©rentes interprĂ©tations de la Bible et du Coran sont assez fascinantes Ă  comparer : selon la traduction, il peut y avoir un point d’interrogation ou non. Par exemple « Vous ĂŞtes des dieux. Mais pourtant vous mourrez comme des hommes » ou bien « Vous ĂŞtes des dieux ? Non, vous mourrez comme des hommes ». Et ça change tout.

Pourquoi avez-vous envoyĂ© tous les moines apprendre Ă  chanter ensemble dans une vraie Ă©glise ?

Une question de logique : pour les familiariser Ă  ĂŞtre ensemble dans une Ă©glise. C’est dĂ©jĂ  de la direction d’acteur. Ă€ raison de plusieurs fois par semaine pendant deux mois, ils ont appris Ă  ĂŞtre ensemble et Ă  chanter ensemble avant mĂŞme de venir sur le plateau. Ça a plus de sens, c’est plus intĂ©ressant et plus utile qu’une lecture dans un bureau. Je les ai aussi envoyĂ©s en retraite au monastère de TamiĂ©. Comme j’ai choisi des gens intelligents, respectueux les uns des autres, ils sont arrivĂ©s sur le tournage avec des liens forts. Ensuite, le talent, l’absence d’ego, la gentillesse, l’humour et la modestie de chacun font que ça fonctionne immĂ©diatement : dès la première scène du film, chacun a compris qu’il se passait quelque chose entre eux.

Vos films se jouent en grande partie dès le choix de vos collaborateurs.

Ce choix est le mĂŞme depuis longtemps : Caroline Champetier au cadre, Jean-Jacques Ferran au son, Eric Bonnard au mixage, ma scripte Agathe, la production de Why Not… On commence Ă  se connaĂ®tre par coeur. J’ai le sentiment d’être le PrĂ©sident de la RĂ©publique de mon film, avec des ministres auxquels je dĂ©lègue beaucoup parce que je leur fais confiance : ministre des finances, ministre du son, ministre du montage… Caroline Champetier et moi nous nous connaissons par coeur, nous connaissons parfaitement les tableaux, les peintres, les pĂ©riodes que nous aimons, nous avons en commun des aventures de films, des goĂ»ts, de longues discussions.

Quelle influence ont vos goĂ»ts communs pour la peinture ?

Lorsque je veux filmer un terroriste Ă  moitiĂ© nu allongĂ© sur une table d’auscultation, je pense au Christ de Mantegna ; et comme Caroline connaĂ®t, elle sait immĂ©diatement comment Ă©clairer la scène. C’est par ailleurs l’un des tableaux les mieux cadrĂ©s de l’histoire de la peinture : inutile de chercher un autre cadre.

MĂŞme rĂ©flexe pour filmer une femme dĂ©pressive buvant seule dans un bistrot comme dans Le petit lieutenant : je pense Ă  l’Absinthe de Degas, je montre le tableau Ă  l’actrice, on s’en inspire mais sans que ça ait l’air d’un tableau. Il y avait aussi ce merveilleux habit des frères : un noir et blanc qui permet des choses magnifiques au niveau de la lumière, du cadre et de l’improvisation. Comme les moines portent le mĂŞme habit en permanence et que le dĂ©cor est quasi unique, j’ai une grande libertĂ© au tournage, mais aussi au montage, pour dĂ©placer des scènes.

Cela vous amusait de vous inspirer du Christ de Mantegna pour reprĂ©senter un musulman et islamiste ?

Oui, moitiĂ© jeu de mot, moitiĂ© provocation. J’ai Ă©galement pensĂ© Ă  la photo du Che mort d’Alberta, surtout lorsque mon personnage a une balle dans le buffet. Par contre, je casse le tableau tout de suite : deux secondes et je passe Ă  la blessure. J’aime aussi beaucoup l’IncrĂ©dulitĂ© de St Thomas du Caravage, lorsqu’il introduit son doigt dans la plaie, mais je ne voulais pas abuser : trop de rĂ©fĂ©rence nuit au film, il faut juste rendre discrètement hommage aux gens qu’on aime.

Vous diriez que l’essentiel du film s’est jouĂ© pendant la prĂ©paration ou sur le tournage ?

La lumière se joue en partie pendant la prĂ©paration parce qu’il faut dĂ©terminer les teintes, les patines, les couleurs des murs. Ensuite, passer du temps Ă  traĂ®ner dans le dĂ©cor avant de tourner me donne des idĂ©es. Lorsque je ne suis plus dans un scĂ©nario mais dans le concret, la manière de filmer la scène m’apparaĂ®t avec Ă©vidence : il me suffit d’imaginer les moines dans ce dĂ©cor.

Ă€ quel moment avez-vous su comment filmer cette histoire ?

En allant voir de vrais trappistes Ă  l’abbaye de TamiĂ© en Haute Savoie, en assistant Ă  leur quotidien, j’ai rĂ©alisĂ© que j’allais devoir mettre en scène une mise en scène – parce que tout rituel est dĂ©jĂ  une mise en scène. Le point de dĂ©part Ă©tait le respect de cette mise en scène-lĂ  : il fallait qu’elle soit d’abord fidèle, prĂ©cise et irrĂ©prochable dans mon film. C’est la raison pour laquelle j’avais d’abord besoin d’un conseiller technique monastique avant de faire ma propre mise en scène : des plans fixes Ă  l’intĂ©rieur du monastère, des axes avec des raccords Ă  90° dans l’église, comme la croix. Je savais que j’aurai peut-ĂŞtre un peu plus de libertĂ© Ă  l’intĂ©rieur du dispensaire de Luc, mais que je ne ferai de travellings qu’à l’extĂ©rieur, dans la nature, sur les travaux des champs par exemple.

Pourquoi pouviez-vous vous autoriser plus de libertĂ© Ă  l’extĂ©rieur ?

Parce qu’on n’est plus dans le rituel. Pour ces frères qui prient presque sans relâche, travailler peut apporter un peu de dĂ©tente et de lĂ©gèretĂ© : chercher du bois avec une brouette, labourer, aller au marchĂ©. Il y a aussi ce qu’on appelle la journĂ©e de dĂ©sert : Ă  TibĂ©hirine, deux fois par mois, les frères disposaient d’une journĂ©e « libre ».

Certains, comme frère Jean-Pierre, restaient dans leur cellule à méditer, d’autres comme Christian aimaient bien se promener dans la nature. Ces promenades-là devaient s’accompagner de grands travellings contemplatifs et de panoramiques sur les arbres.

Vous vous posez parfois encore la question de l’endroit oĂą placer la camĂ©ra ?

Pas beaucoup, non. On en discute parfois avec Champetier pendant les repĂ©rages et lorsqu’elle n’est pas d’accord avec moi, je peux accepter de changer d’idĂ©e. Mais le plus souvent c’est une Ă©vidence, elle rĂ©ussit Ă  concrĂ©tiser ce que j’ai en tĂŞte. La frontière entre une image et un plan est très mince, et je ne veux jamais passer du cĂ´tĂ© de l’image – l’image, c’est pour les clips et la publicitĂ©. Champetier a rĂ©ussi des plans magnifiques qui ne sont jamais des images. Ă€ une exception : quand Olivier Rabourdin prie dans les rayons de lumière, la fumĂ©e du poĂŞle Ă  bois matĂ©rialise trop la lumière, on a une image et pas un plan. L’avoir gardĂ© permet de faire comprendre la diffĂ©rence.

Comment a Ă©voluĂ© votre manière de filmer depuis Nord ?

Nord est dĂ©jĂ  assez Ă©purĂ©, mais j’essaye de faire encore plus Ă©purĂ© et accessible. Comme les peintres japonais qui tentent d’arriver au trait le plus simple. MĂŞme chose avec le son : il n’y a pas de montage, ce n’est quasiment que du son direct. Nous avons tournĂ© dans ce qui Ă©tait un monastère il y a cinquante ans, une ruine que nous avons retapĂ©e, mais autour de laquelle rien n’a Ă©tĂ© construit depuis un demi-siècle, pas la moindre route. Comme nous avions le vrai son d’un monastère, il Ă©tait impensable d’ajouter de faux sons.

Comment avez-vous travaillĂ© l’aspect intemporel et non localisable que vous vouliez donner au film ?

J’ai pensé qu’il fallait filmer cette histoire comme si elle s’était déroulée il y a des siècles, comme s’il s’agissait d’une tragédie grecque ou d’un western. Cela m’a aidé à prendre du recul, comme si ces moines étaient déjà des saints et que je venais avec une caméra qui remonte le temps. Là-bas, sur le tournage, nous étions hors du monde et hors du temps.

Vous avez beaucoup travaillé avec la population locale.

Ils ont participĂ© très activement au tournage. Et j’ai beaucoup appris du peuple marocain sur l’existence : une certaine joie de vivre, une absence de stress sur le plateau – les marocains y sont allergiques. Avec eux, les choses se font dans une atmosphère que je ne connais pas en France : pas d’angoisse, mais des ondes positives.

Comment avez-vous trouvĂ© le monastère ?

Notre production locale a visitĂ© tout ce qui pouvait ressembler Ă  ce qu’on cherchait au Maroc. C’est le premier dĂ©cor que j’ai vu, j’ai su immĂ©diatement que c’était ce qu’il me fallait : ça et rien d’autre.

Vous pourriez tourner en studio ?

Non, il en est hors de question. Je ne fais pas du cinéma pour aller tous les matins à l’usine, mais pour être dans de vrais endroits. En studio, je n’y crois pas car tout est artificiel. Et si je n’y crois pas, le spectateur ne peut pas y croire. J’ai besoin d’un vrai monastère qu’on transforme en faux studio. On peut réussir de très beaux films en studio, mais je ne sais pas faire.

Qu’avez-vous fait des grands films de l’histoire du cinĂ©ma qui ont abordĂ© la religion ?

Ă€ la veille du tournage, avec certains de mes techniciens et de mes acteurs, nous avons revu Les 11 fioretti de Rossellini pour se placer sous de bons auspices – comme lorsqu’on va Ă  la pĂŞche : on amorce la veille, pour que ça morde.

Mais j’ai pour habitude de ne pas revoir les films qui ont un rapport avec celui que je vais tourner. Je préfère aller voir les vrais moines, ce qu’est la Bible, ce qu’est la religion.

Il se retrouve dans mon film des choses de cinéastes que j’ai aimés, mais je ne sais ni comment, ni pourquoi. Je ne suis nourri que de ce que j’ai entièrement digéré. Dans Selon Matthieu par exemple, lorsque je fais des plans sur les maisons bourgeoises, j’ai oublié que mon ami Barbet Schroeder l’a déjà fait dans Le mystère Von Bulow.

Je n’ai pas l’impression de lui voler une idĂ©e, je l’ai digĂ©rĂ©e. Tout mon cinĂ©ma n’est qu’hĂ©ritage des autres – sans quoi je serais un enfant sauvage de Truffaut, je ne saurais rien. J’ai pris un peu de la façon de faire de Cassavetes, de Sergio Leone, de peintres que j’aime : difficile de peindre la mer sans penser Ă  Hokusai, Ă  Monet, Ă  Gauguin, Ă  Turner. J’ai retenu les leçons de Jean Douchet, mais aussi de TĂ©chinĂ© dans sa façon de faire avec ses acteurs, ou lorsqu’il cite Renoir disant que le plateau devait rester ouvert pour que survienne l’inattendu.

Vous travaillez avec la même équipe depuis longtemps, mais cette fois vous avez fait confiance à une jeune monteuse, dont c’est le premier long métrage.

Après cinq films et avec l’expĂ©rience qu’on a acquise, on peut faire confiance Ă  une jeune monteuse… J’ai dĂ» ĂŞtre très marquĂ© par l’émission CinĂ©ma CinĂ©ma quand j’étais petit : j’ai le souvenir de l’épisode avec Cassavetes dans son cabriolet, qui travaillait au montage chez lui tout en rigolant, en fumant et en buvant des coups. Je me suis dit que c’était le mĂ©tier que je voulais faire.

Si vous deviez rĂ©sumer votre film en trois mots ?

Liberté, égalité, fraternité.

Filmographie sélective de Xavier Beauvois

Scénariste et réalisateur

- 2010 : DES HOMMES ET DES DIEUX, Grand Prix du Festival de Cannes - Prix de l’Éducation Nationale - Prix du Jury OEcumĂ©nique

- 2005 : LE PETIT LIEUTENANT, SĂ©lection Officielle Festival de Venise

- 2000 : SELON MATTHIEU, SĂ©lection Officielle Festival de Venise

- 1995 : N’OUBLIE PAS QUE TU VAS MOURIR, Prix Jean Vigo - Prix du Jury Festival de Cannes

1992 NORD

Acteur

- 2009 VILLA AMALIA de BenoĂ®t Jacquot
- 2005 LE PETIT LIEUTENANT de Xavier Beauvois
- 1999 LE VENT DE LA NUIT de Philippe Garrel
- 1998 DISPARUS de Gilles Bourdos
- 1996 PONETTE de Jacques Doillon
- 1995 N’OUBLIE PAS QUE TU VAS MOURIR de Xavier Beauvois

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Notes

[1] Propos recueillis par Christian Fevret

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