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01/07/1999 La
Recherche STÉPHANE
DELIGEORGES est journaliste.
(1)H.D. Moore et
D.A. Taggart,Biology of Reproduction, 52, 947, 1995.
(2)Steven Austad, Why we Age , John Wiley and Sons,
p. 94, 1997. (3) Idem , p. 107. (4)M.R. Rose,
Evolutionary Biology of Aging , 1991, Oxford University
Press. (5)« Retarded senescence in an insular population
of Virginia opossums », The Zoological Society of London,
229 , 695, 1993. (6)Martine Atramentowicz, Can. J.
Zool., 70 , 1511, 1992 ; Biotropica, 18(2), 136,
1986 ; Rev. Ecol. (Terre Vie), 36 , 373, 1982.
(7)R.G.S. Westendorp et Thomas B.L. Kirkwood, Nature,
396, 743, 1998.
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> DOSSIER
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CAS D'ESPÈCE
Les opossums vieillissent
différemment selon leur environnement
Stress fatal
chez les opossums
Treize mamelles et une queue
préhensile par laquelle elle se pend pour s'accoupler tête en
bas, ce ne sont pas là les moindres originalités de la femelle
opossum. Mais si ces animaux retiennent aujourd'hui notre
attention, c'est parce qu'ils vieillissent de façon accélérée
sous la menace des prédateurs.
Les opossums ne font
jamais de vieux os. A contrario des tortues terrestres
des Galápagos, qui perdurent, ces marsupiaux expriment une
manière de consomption physiologique accélérée. Leur vie est
brève, et leur destin biologique possède nombre de traits
saillants. Celui que certains n'hésitent pas à chasser pour le
préparer en ragoût, Didelphis virginiana ou opossum de
Virginie, va donc, ici, servir de modèle, et cela en suivant
le naturaliste Steven Austad, pour appuyer l'une des
innombrables hypothèses qui s'essaient à expliquer le
mécanisme du vieillissement des vertébrés (voir son article p.
26). Mais il est nécessaire, avant d'arriver à la thèse, de
donner nettement figure à notre sujet, tant ses singularités
sont appuyées.
C'est l'Espagnol Vincent Yá-ez Pinzón qui, pour les
Européens, découvre le premier de ces marsupiaux du Nouveau
Monde. Commandant la caravelle L a Ni-a , lors du
premier voyage de Colomb, il explore plus tard, en 1499, le
Brésil. C'est alors qu'il capture une femelle d'opossum et ses
petits. Ramenée en Espagne, elle est présentée à la cour. Le
couple royal est très intrigué, et la reine Isabelle introduit
son « doigt royal » dans la poche marsupiale. Elle y
découvre les petites larves en train de téter et ne peut que
s'étonner de cette invention inédite de la nature.
L'opossum de Virginie, celui qui nous retient, est
découvert en 1608 par John Smith, l'un des fondateurs de la
colonie de Jameston. Sa description est imprécise, mais il
écoute les Indiens qui parlent de cet animal comme d'une bête
blanche, soit le terme d'« opossum », qui nous est
resté. A l'instar de celui de « sarigue », qui provient du nom
que les Indiens d'Amazonie utilisent pour leur espèce locale.
Terminologiquement, c'est l'incontournable Linné qui baptise
ce marsupial d'Amérique du nom de Didelphis , pour son
genre, signifiant par là que la femelle possède deux utérus.
Le deuxième étant cette poche caractéristique qu'on connaît
aux marsupiaux. Enfin le naturaliste anglais Robert Kerr le
désigne pour son nom d'espèce de virginiana , le lieu
où il a été découvert.
Didelphis virginiana n'est donc pas australien.
La célébrité du kangourou a laisssé insinuer à beaucoup
d'Européens que les marsupiaux sont exclusivement des animaux
du continent océanien.
Or, les plus anciens marsupiaux seraient d'abord
nord-américains. Un fossile de 85 millions d'années a été
trouvé dans la région de l'Alberta, au Canada. En Amérique du
Sud, Peradectes , premier marsupial didelphidé connu
croquait des oeufs de dinosaures, il y a 70 millions d'années.
Aujourd'hui, le Nouveau Monde connaît environ quatre-vingts
espèces de marsupiaux, mais D. virginiana , l'une des
trois espèces du genre Didelphis , est seule présente
aux Etats-Unis. Apparu très récemment, il y a quelques
centaines de milliers d'années, cet opossum se serait
différencié à partir d'une population d'opossums communs,
Didelphis marsupialis , endémiques du Mexique.
Portrait. L'opossum de Virginie est un animal
strictement nocturne, au pelage hirsute du fait de ses longs
jarres, poils droits et raides, de couleur blanche, qui
piquent irrégulièrement sa fourrure courte et sombre. Sa tête
exhibe un museau fin, pointu, surmonté de petits yeux noirs
qui se cernent d'un anneau noir plus appuyé. Sa face est blanc
crème. Les mâles mesurent 50 cm, corps et queue confondus, les
femelles 40 cm. Leur poids est au maximum de 3,5 kg. Ce
marsupial est strictement solitaire. On le rencontre jusqu'à 3
000 m d'altitude au Mexique.
D. virginiana est omnivore. Son menu se compose
de fruits, d'insectes, de feuilles, de grenouilles,
d'écrevisses. Il est aussi charognard, mais il montre son
originalité dans sa puissante résistance au venin des
serpents. Son immunité adaptative lui permet de croquer des
crotales, dont le venin, si toxique, est impuissant à le faire
fuir.
Piètre nageur, il est excellent grimpeur. Ses pattes
antérieures sont munies de 5 doigts semblables, portant à
l'avant, des griffes aiguisées ; les postérieures montrent
seulement quatre doigts munis de griffes, le pouce en étant
dépourvu. Il est large et opposable, ce qui lui permet de
grimper. Mais c'est surtout sa queue, préhensile, qui exprime
sa singularité. Sa force est telle qu'elle lui permet de
supporter le poids de deux ou trois congénères juvéniles
accrochés à lui.
Treize tétines. Si nous abordons, maintenant, le
mode de reproduction de cet opossum, il va receler, lui aussi,
quelques radicales étrangetés. La première, qui choque
spontanément un souci de symétrie bilatérale, est le nombre de
tétines de la femelle : treize. Six sont rangées le long des
bords du marsupium, cette poche que partagent, à l'instar des
kangourous, tous les marsupiaux. Six mamelles sont également
présentes à l'autre bord. Curieusement, une treizième, isolée
mais active, se montre au centre de ce cercle mammaire.
Par ailleurs, ce solitaire agressif qui ne supporte pas
ses congénères va adopter une attitude différente au moment de
la reproduction. Dans la circonstance, le mâle, qui a
identifié, par son odorat, une femelle en chaleur, commence
par pousser des cris semblables à des cliquetis. Si la femelle
est réceptive, alors débute un ballet qui appartient en propre
aux espèces arboricoles, puisqu'ils se reproduisent la tête en
bas. Le mâle agrippe la femelle au bassin par ses membres
antérieurs, la mord à la nuque. Puis les animaux tombent dans
le vide, suspendus par la queue préhensile de la femelle. Le
mâle ensuite pénètre la femelle de son pénis au gland bifide,
pour un accouplement de deux minutes. Chez l'opossum de
Virginie, cette copulation se fait au sol sur le côté. Ce
comportement se répète plus de vingt-cinq fois, l'éjaculation
ne se produisant qu'à la dernière copulation. Chaque
éjaculation comporte seulement 3 millions de spermatozoïdes,
dont 5 % arrivent au site de fertilisation, ce qui est peu en
comparaison, par exemple, du mâle du lapin qui, lui, en
produit 150 millions. Mais dans cette situation, 0,01 %
seulement arrivent au terme. L'opossum montre, ici, une
étonnante efficacité. Les marsupiaux américains, cas unique
chez les vertébrés, ont des spermatozoïdes qui fusionnent en
formant des paires. Ils se séparent ensuite dans l'oviducte.
Cette manière est restée longtemps énigmatique. Récemment
Harry Moore de l'université de Sheffield et David Taggart à
l'université de Monash, en Australie, ont montré que les
spermatozoïdes par paires étaient plus efficaces lors de leur
progression dans le mucus vaginal(1).
Chez tous les marsupiaux, la gestation est très courte.
Chez Didelphis virginiana , elle est de 13 jours. Les
petits sont comme des embryons mobiles au moment de la
parturition. Ils mesurent 12 mm et pèsent 0,15 g, ce qui est
le 1/10 000e du poids de leur mère, 24 de ces larves pouvant
tenir dans une cuillère à café. Parfois, dans les cas
extrêmes, ils sont plus de 40. Avant l'accouchement, la mère
commence à lécher son ventre et son marsupium. Puis elle se
courbe, semi-assise, afin d'offrir le chemin le plus court aux
petits. Seuls leurs membres antérieurs sont formés. Alors, ils
nagent une sorte de crawl, guidés par leur sens olfactif, et
mettent deux minutes pour parcourir les 5 cm qui les séparent
du marsupium. Ceux qui échouent dans l'exercice sont perdus
irrémédiablement. Treize heureux élus, au maximum,
s'accrochent, alors, à un mamelon de leur génitrice. Ils vont
rester là pendant deux mois.
Vieillissement accéléré. Concernant l'autre bord
de la vie, c'est au Venezuela que Steven Austad découvre que
les opossums vieillissent très vite. Ainsi, une femelle de 18
mois, équipée d'un collier radio, est rattrapée une centaine
de jours plus tard. Elle montre des signes d'extrême
décrépitude. Elle perd sa fourrure, souffre d'une cataracte,
sa démarche est arthritique, et elle est totalement infectée
de parasites. Lors de cette étude initiale, le chercheur
constate qu'aucun opossum ne dépasse l'âge de 2 ans, ce qui
est remarquablement peu pour un mammifère de cette taille. Les
opossums semblent souffrir d'un vieillissement accéléré. Le
zoologiste, qui, de son propre aveu, ne s'était intéressé
jusque-là qu'à la sexualité des animaux, va se prendre de
passion pour les phénomènes de sénescence, et va les étudier à
la lumière de la théorie de l'évolution(2). De retour du
Venezuela, c'est une population marginale, insulaire, au large
de la Géorgie, qui permettra la résolution du problème. Nous y
arrivons.
Pour Steven Austad, à la suite des grands biologistes
John Haldane et Peter Medawar, le vieillissement est
directement lié à l'intensité de la pression de sélection
naturelle. Celle-ci s'exerce d'autant moins que l'on a dépassé
l'âge de la reproduction. Seul compte, en effet, que l'animal
transmette ses gènes, et les fasse perdurer au travers de sa
descendance. Une fois qu'il s'est acquitté de cette tâche, peu
importe ce qu'il advient de lui. De nombreux gènes délétères,
s'ils ne s'expriment qu'après la reproduction, pourront ainsi
s'accumuler dans le génome des animaux, et accélérer le
vieillissement. John Smith et Michael Rose réalisent entre
1950 et 1960 quelques expériences sur la drosophile qui
confirment cette théorie(3,4).
Steven Austad, dans les années 1980, va étudier des
vertébrés, des mammifères. Son modèle est, bien sûr, l'opossum
D. virginiana . Pourquoi ces derniers vieillissent si
vite ? Son hypothèse est la suivante. Lents et mal armés, ne
disposant d'aucun atout remarquable, les opossums peuvent être
tués par quasiment tous leurs prédateurs, chouettes, coyotes,
loups, cougars, et même récemment par les automobiles.
L'horizon vital de l'animal est très court. Etant soumis à
forte pression prédatrice, il est meilleur, dans ce cas, et du
point de vue de l'espèce, que l'opossum réponde à cette menace
par une descendance nombreuse, plutôt qu'en développant, par
exemple, un système immunitaire très perfectionné. Comme le
saumon, qui se préoccupe peu de vieillir, car sa vie se
terminera une fois qu'il a réussi à générer une descendance,
autant, pour l'opossum, utiliser toutes ses ressources afin
d'essayer de survivre et se reproduire, plutôt que d'investir
dans des dispositifs à long terme qui n'ont que peu de chance
de voir le jour. Quitte à hypothéquer l'avenir. C'est-à-dire à
vieillir plus vite.
Comment vérifier cette hypothèse ? En trouvant un
endroit où l'environnement est moins hostile à l'opossum.
Austad va ainsi se mettre à la recherche d'un paradis pour ces
marsupiaux, un environnement où leur longévité pourrait être
supérieure. Et il le trouve ! Il s'agit de l'île de Sapelo,
située sur la barrière de corail, au large de la Géorgie. Elle
est coupée du continent depuis 4 000 ans, et suffisamment
éloignée de celui-ci (5 miles) pour que les animaux ne
puissent y venir à la nage. Comme c'est généralement le cas
pour les îles, Sapelo est plus pauvre en prédateurs que les
environnements continentaux. Steven Austad va, alors, montrer
qu'il existe en ce lieu une adaptation spécifique des
marsupiaux(5).
Dans l'île, la longévité moyenne y est de 25 % plus
importante que sur le continent. La longévité maximale,
supérieure de 50 %. Ensuite, les opossums de l'île ont réduit
leur taux de reproduction, relativement au continent (4 à 6
petits à Sapelo contre 6 à 9 pour ceux de Caroline). Les
femelles insulaires connaissent pourtant une seconde période
reproductive, à la différence de leurs congénères
continentales, qui, elles, ne vivent pas assez longtemps.
Enfin, ultime preuve, Austad constate que l'analyse des fibres
des tendons, qu'il prélève dans la queue préhensile de
l'animal, et qui sont un bon critère de l'état physiologique
des individus, indique un vieillissement nettement plus lent
que sur le continent. Il peut alors affirmer que ses résultats
s'inscrivent dans la théorie évolutionniste du vieillissement.
Une diminution de la pression de sélection permet un
allongement du cycle vital.
Faire le mort. Martine Perret étudie à Brunoy
dans l'Essonne, une annexe du Muséum, des opossums laineux à
queue nue(6). Convaincue du bien-fondé de la théorie
évolutionniste, elle remarque cependant que d'autres théories
sur la sénescence, celle de T. Kirkwood par exemple,
considèrent que l'investissement reproducteur se fait au
détriment, de la maintenance de l'organisme ce qui a un effet
négatif sur la survie(7). Plus l'organisme investit d'énergie
à se reproduire, plus il se fatigue. « Si je peux me
permettre une boutade : vive la ménopause ! ».
Pour conclure, mentionnons que D. virginiana , à
certains moments, s'étend sur le sol, laisse ses yeux
entrouverts et se mord la queue. Prenant l'apparence d'une
charogne, il évite -l'attaque des prédateurs amateurs de
proies vives. La langue américaine en a tiré l'expression «
playing the possum » pour signifier « faire le mort ».
Curieusement, bien avant d'être un objet de recherche sur le
vieillissement accéléré, l'opossum était ainsi associé au
terme de la vie. VIVRE 120 ANS : THÉORIES ET
EXPÉRIENCES CAS D'ESPÈCE
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