L'écriture, entre rupture et continuité

On fait souvent du 20e siècle le siècle des ruptures. Mais cette notion s’inscrit dans une perspective d’histoire littéraire dont l’objet est d’abord de dégager des lignes de force. Décrire les périodes et les nommer impose de les différencier, et de tracer les évolutions et changements davantage en termes de différences, oppositions, querelles spectaculaires parfois, qu’en termes de prolongements.

Pourtant, si l’on peut percevoir une continuité au fil des siècles, c’est bien d’abord dans la volonté d’être de son époque, de formuler l’esthétique de la littérature du présent, d’une langue et d’une littérature au présent.

La « rupture » camouflerait alors une volonté essentielle de continuité : comment assurer la permanence de ce que recouvre le fait d’écrire, cela dans la conscience du temps ? On sait par exemple que l’imitation n’a jamais été – sauf pour des écrivains de second ordre – une simple répétition, et la lecture des textes devient dès lors l'occasion d'observer ce délicat travail de reprises et modifications des formes tant linguistiques que génériques et rhétoriques. L'innovation – à supposer que cette façon d'en hypostasier l'existence par cette désignation conceptuelle ait un sens – est rarement une forme radicalement neuve, mais repose bien plutôt sur un rapport spécifique à la mémoire culturelle - mémoire oubliée, qui passe pour neuve, ou tradition d'écriture encore vivante et qui prend alors une fonction intégrante, par la capacité d'une forme textuelle reconnue à valoir comme signe. Les citations, emprunts, et autres éléments qui peuvent relever rapidement de l'imitation sont alors à entendre comme marqueurs de généricité, exhibant de façon iconique le mode de lecture proposé pour le texte « nouveau ». Que le mode de lecture d'un texte relève de la négociation contextuelle, plus que de la tradition culturelle, est sans doute une forme de rupture – à condition de prendre comme étalon le classicisme, et d'occulter tout ce qui précède... Le traitement du poétique dans l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, le traitement du métrique dans les recueils de Verlaine, le traitement du descriptif dans les Salons de Diderot posent sous cet angle des problèmes du même ordre, obligeant à un traitement local et spécifique du global et du générique, et ouvrant ainsi la voie à des interprétations divergentes. Naturellement , le travail de rupture, qui relève davantage de la prise de position par rapport à une tradition, peut se lire dans le déroulement de l'oeuvre même, en particulier dans le traitement d'une doxa, dans la reprise de ce qui semble relever du lieu commun, dans l'utilisation d'une syntaxe apparemment classique, comme ce peut être le cas chez Gracq, mais avec dans les trois cas des distorsions assurant une forme de décalage par rapport à ce qui pouvait passer pour une norme.

C'est à une réflexion sur l'ensemble de ces questions que vous convient les communications ici réunies.

Sommaire

Judith Wulf

Le poétique dans L'Itinéraire de Paris à Jerusalem

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Brigitte Buffard-Moret

Poèmes saturniens : une poésie sous influence mais une musique déjà toute verlainienne

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Éliane Delente

Un aspect de la concordance dans Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes et Romances sans Paroles de Verlaine : l’hémistiche et le syntagme

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Fabienne Boissieras

Les « déformations sublimes » dans Un Balcon en forêt

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Stéphane Gallon

Un balcon au-dessus de la Meuse

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Laurence Bougault

Modalisation, contra-dictum et déréalisation dans Un Balcon en forêt de Julien Gracq

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Émilie Devriendt

Descriptions imaginaires et fictio critique : la rhétorique du « tableau en parallèle » dans le Salon de 1761 (Diderot)

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