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GEORGES BRASSENS

 
GEORGES BRASSENS
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Sa biographie



Contestataire intégré dans le patrimoine national, homme de spectacle non spectaculaire, personnage involontairement public refusant de dévoiler le moindre élément de sa vie privée, Georges Brassens était un paradoxe ambulant. Le scandale d'hier est aujourd'hui passé dans les programmes scolaires et les pensées qui choquaient la morale des années 50 sont entrées dans les moeurs vingt ans plus tard. Précurseur malgré lui, Brassens était avant tour un esprit libre qui eut l'audace de chanter avec humour des choses graves sur des scènes jusqu'alors réservées au divertissement
Individualiste convaincu, non-militant engagé et grand sceptique devant l'Eternel, il avait trop conscience de l'influence de son rôle pour en abuser. Alors il suggérait en chansons ce qu'il n'assenait pas en discours. Ce que l'on n'a pas manqué de lui reprocher, à droite comme à gauche. Homme fidèle à ses idées, il s'est donné les moyens de vivre comme il l'entendait, hors des sentiers battus de la norme et de la gloire.
Brassens se cachait. D'abord pour être tranquille et profiter pleinement de l'existence avec ceux qu'il avait choisis mais aussi - et surtout - pour s'atteler patiemment à la recherche permanente du mot et de la note justes. Egoïste généreux, passéiste moderne, humaniste persifleur et voyageur immobile, le personnage était bien plus que ce qu'il a voulu nous laisser croire.
Sète, 1921. Posée au bord de la Méditerranée sur une langue de terre entre l'étang de Thau et la mer, la ville s'active autour du port. Bruits, senteurs et mouvements. Le 22 octobre, à quelques encablures du vieux centre, naît le fils du "vieil ours" et de la "napolitaine". Georges Charles Brassens.


Louis, le père, est maçon, joyeux agnostique et Elvira, la mère, fille d'immigrés italiens, fervente catholique, veuve de guerre et mère de Simone, enfant d'un premier mariage. Soleil, école, chansons maternelles et virées à la plage, le petit Georges grandit tranquillement. Il baigne dans les airs populaires que l'on passe sur le phonographe familial. - « Mon père, mes grands-parents, ma mère, ma soeur, tout le monde chantait dans la famille. On mélangeaitet des airs d'opéra, d'opérette. On chantait tout le temps, sans se poser de questions sur ce que l'on chantait ».
La TSF rythme Ies années 30. Georges y découvre Tino Rossi, Mireille, Jean Nohain, Jean Tranchant mais surtout Vincent Scotto, Ray Ventura et Charles Trénet. Georges chope le virus du swing et le goût des mélodies populaires, celles qui attrapent l'oreille pour ne plus la lâcher. D'instinct, sans solfège ni partitions, il cherche des airs. Coin de table, porte, Georges se met à taper partout. Il ne tarde pas à monter un orchestre swing et tâte du banjo.
l'école, Georges la préfère buissonnière. Il n'y excelle qu'en gymnastique et en humour jusqu'à ce qu'un professeur de français atypique, Alphonse Bonnafé, lui ouvre les portes de la poésie et des lettres. Georges écoute. Il commence à écrire et rode sa verve comique devant ses copains. La bande rêve. Destinées artistiques et Ville-lumière.
En 1939, Georges-le-rigolo a 17 ans et, au printemps, son nom apparaît pour la première fois dans un journal, l'Eclair. Une bande de vauriens sétois avait commis 14 cambriolages. Les gosses avouent avoir voulu "faire les jeunes gens". Georges Ecope de deux semaines de prison avec sursis. Son père l'attend à la sortie du commissariat et lui dit "bonjour, petit". Leçon de tolérance, le paternel passe l'éponge. Après un été durant lequel le petit se fait discret, ses parents décident de l'envoyer à Paris. La bande se reformera plus tard. Bonne chance.


Paris, février 1940. Georges débarque rue d'Alésia dans la pension de famille de sa tante Antoinette avec la promesse de travailler pour assurer sa subsistance. Il commence comme apprenti-relieur puis s'engage comme tourneur chez Renault. La vie-de-boulot ne lui convient guère.
La drôle de guerre déjà perdue, l'exode commence et Georges repart à Sète pour l'été. Il revient à Paris en septembre, non plus pour travailler, mais pour écrire.
« C'est à ce moment-là, à 18 ans, que j'ai rencontré les poètes par le plus grand des hasards parce que ma tante avait une bibliothèque pleine de livres et que je me suis mis à lire les poètes. J'ai trouvé un traité de versification et je me suis mis à l'étudier, évidemment je me suis aperçu, et je continue de le penser, que j'étais ignorant et que je n'arrivais pas à la cheville de ces gens-là ».
Il fonceà la bibliothèque du 14e arrondissement et dévore tout et n'importe quoi avant de trouver deux maîtres : Villon et La Fontaine. Le chantre des humbles, de la révolte contre les puissants et le fabuliste sceptique.
Rue d'Alésia, il trouve son premier piano et s'y met doucement. Brassens le jeune s'enferme de plus en plus dans son univers de notes et de rimes. Le reste du temps, il flâne dans le quartier Plaisance où il restera plus de 4o ans.
Georges est sans le sou mais cela ne l'empêche pas de s'informer de l'actualité artistique. En cette période d'Occupation, le jazz le fascine et il admire Django Reinhardt et sa guitare magique.
En 1942, Georges a 20 ans. Il publie, à compte d'auteur, deux recueils de poèmes A !a venvole et Des coups d'Epée dans l'eau. Sur ses papiers d'identité, il écrit "homme de lettres", il est admis à la Sacem comme auteur, mais surtout, il fait la connaissance de Jeanne Le Bonniec, une couturière voisine de la pension d'Alésia. Elle est de 3o ans son ainée, mais qu' importe.


Février 1943, les autorités de Vichy créent le Service du Travail Obligatoire et envoient en Allemagne 170 000 français de tous les corps de métier. Georges arrive dans la banlieue de Berlin, à Basdorf, pour être affecté à l'usine BMW-Aviation.
Dans le camp où sont cantonnés Hollandais, Polonais, Turcs et Français, Georges monnaye sa tranquillité et s'aménage un emploi du temps qui lui convient. Réveil à 5 heures, culture physique, lecture et écriture avant d'aller chercher le café à l'autre bout des baraquements, seule corvée à laquelle il daigne participer. A l'usine, où l'on ne tient pas trop à soutenir l'effort de guerre des "Teutons", Georges lit et écrit debout, penché sur les moteurs qu'il est censé vérifier. Il écrira à Basdorf plusieurs dizaines de chansons dont quelques unes dans leur version définitive : "Pauvre Martin", "Le mauvais sujet repenti".
« Moi, je n'étais pas fou, ma folie était ailleurs, j'écrivais, je pensais à autre chose, je vivais déjà en marge du monde, je m'étais créé un univers dans lequel n'avaient cours que les idées, les pensées, les sentiments que j'acceptais. Je vivais très peu dans le présent et dans le milieu ambiant, je vivais juste dans le temps superficiel de ma conscience. Je disais bonjour, bonsoir, mais c'était tout. Tout le reste se passait dans cet univers ».
Il fraternise vite avec ses compagnons d'infortune, partage colis et chansons.
Il rencontre là ceux qui seront toujours fidèles parmi les fidèles. Iskin, Larue, et surtout Onténiente. Ils dégottent un piano et, peu à peu, il leur livre tout son répertoire de variétés. A force de le tanner, Iskin réussir à entendre ses premières chansons. Moustaches à la Clark Gable, ironie et mordant en toutes circonstances, Brassens-le-joyeux-drille distrait et amuse la compagnie.
Mars 1944, à la faveur d'une permission, Brassens revient à Paris et y reste. Réfractaire jusqu' à la fin de la guerre, il se cache chez Jeanne, la jeanne. C'est là, sur fond de fin d'occupation et de collaboration, de libération et d'épuration, que le système Brassens s'élabore.



Pendant plus de dix ans, Brassens restera impasse Florimont chez Jeanne et son mari, Marcel Planche. Une petite cahute rustique sans aucun confort, entre le perroquet, les chats, les chiens et La cane de Jeanne, où il trouve tabac, tendresse et amitié. Brassens reprend son rythme. Bouquinistes, troquets et femmes mariées. Oisif actif, il 1it 3 ou 4 livres par jour, étudie furieusement grammaire et versification, gratte son banjo, puis rachète la guitare d'un copain. De 1940 à 44, il écrit entre 3 et 400 poèmes ainsi qu'une centaine de chansons. Brassens se cherche.
Fin 1945, Georges retrouve Pierre Onténiente, qui a réintégré sa chambre de bonne de la rue Pigalle et son poste de contrôleur du Trésor après son retour de Basdorf. Ils ne se lâcheront plus.
Il rencontre Jeanine, dite la "P'tite Jo', mytho, clepto, sale et volage. La jolie fleur l'envoûte à coups d'affabularions et met son coeur à feu et à sang. Puis elle disparaît. "P... de toi". Pas de métier, pas de revenus, hirsute, la moustache en "tablier de sapeur", George-la-Paresse ne vit de rien.
Apparaît alors Joha, une jeune blonde estonienne, souriante, gracile et gracieuse. Il la croise longtemps autour du métro Plaisance avant de se décider à lui parler. Blonde Chenille, Püppchen. Jeanne n'admet chez elle que les hommes. Pas les copines. Férocement jalouse, elle cache les pantalons de Georges pour l'empêcher de sortir. Les tourtereaux doivent se faire discrets. Amours clandestines, "vie commune séparée", chacun chez soi mais toujours ensemble. Jusqu'au bout.
Début 1946 Brassens commence à suivre les réunions de la Fédération Anarchiste (section du 15e arrondissement) et conforte sa méfiance envers le pouvoir, l'autorité et ses symboles.
« Une morale, une façon de concevoir la vie, qui accorde une priorité à l'individu ». Le Monde Libertaire, le journal anar pour lequel il écrit sous les pseudos de Géo Cédille et Gilles Colin, apparaît comme un exutoire idéal pour Brassens, le contestataire. Il tire sur tout ce qui bouge, raille, ironise, traîne ses têtes de turcs dans la boue (la Police, l'Eglise, les Staliniens) et rêve d'égalité sociale et de liberté sexuelle.
« Je suis tellement anarchiste que je traverse dans les passages doutés pour ne pas avoir à faire à la maréchaussée ».



Dans cette période d'épuration, il affirme son pacifisme et sa distance avec les pratiques revanchardes. Après le procès de Nuremberg, il s'élève contre la peine de mort. Seule cause pour laquelle il prendra par la suite publiquement Position.
Puis, il s écarte du mouvement anar et ne militera plus jamais. Brassens-le-pacifique s'engage sur la voie du scepticisme.
Guerre, résistance, collaboration, libération, rien n'a changé dans le monde du music-hall. Les vedettes d'avant-guerre ont repris leurs places et monopolisent les
grandes scènes parisiennes. Brassens flâne dans Paris et ses cimetières. Paris populo, bougnats, marchands de marrons, autobus à plate-forme, concierges, pigeons, accordéonistes. Il forge son univers. Citadin et poète urbain écrivant des histoires de "culs-terreux".
 « Quand j'étais de la cloche, il se trouvait toujours quelqu'un pour me procurer un paquet de tabac ou de quoi manger le lendemain... J'étais heureux lorsque je pouvais m'offrir une paire d'espadrilles neuves. J'étais plus heureux que le type que je suis aujourd'hui quand il s'achète une paire de chaussures. On ne se met pas à table le ventre plein ». Brassens vit de la générosité de ses amis, mange peu et s'invite alternativement chez Onténiente ou Laville et fume cigares et pipe. L'auteur-compositeur cherche un interprète, les visites épisodiques chez les éditeurs musicaux n'ont rien donné. Mais au fond de lui, il a la certitude qu'un jour ou l'autre son heure viendra. D'ici là, il reste tranquille et vit de l'air du temps.
Brassens a 3o ans. Il s'accroche et travaille avec acharnement pour parvenir à l'osmose parfaite entre le verbe et la musique. Il peaufine ses textes, écrit de nouvelles chansons, rédige son roman et chante ses nouveautés à Jeanne, à l'auvergnat et aux potes.
A cette époque, il a déjà constitué le répertoire de ses cinq premières années de carrière. Brassens est prêt. - « Quand il a commencé à chanter en public, il avait 30 ou 40 chansons d'avance que personne ne connaissait »(Pierre Onténiente).



Mars 1952, Brassens s'est pratiquement essayé dans tous les cabarets. Victor Laville, le minot de Sète, lui fait rencontrer Pierre Galante (chroniqueur à Paris-Match) qui lui décroche une audition chez Patachou. La Dame se produit dans son propre cabaret, une ancienne boulangerie de la rue du Mont-Cenis où elle programme des artistes de son choix et asseoit sa réputation en coupant la cravate des clients récalcitrants à chanter. Brassens ne veut pas y aller. Ses potes le jettent devant Patachou qui dîne au milieu de son personnel. Brassens refuse de monter sur scène. Dans la salle, assis sur une chaise, il attaque une vingtaine de chansons. Le contrebassiste de la maison, Pierre Nicolas, attrape son instrument et l'accompagne spontanément. Les serveurs arrêtent de ranger. La patronne est séduite.
Brassens ne veut pas chanter, il cherche un interprète, c'est tout. Patachou lui répond que ce sera lui. Voilà.
Le surlendemain soir, c'est parti. Patachou entonne quelques chansons de Brassens, le timide puis le présente au public et lui laisse la scéne. Il chante les textes qu'elle ne peut pas chanter, ceux des voleurs de pommes, de mégères gendarmicides et de singe violeur de magistrat.
« II ne chantait que si j'apportais une chaise pour m'asseoir au premier rang, devant lui. Il m'a fait ça pendant six mois, c'était le côté caprice du monsieur » (Patachou). Désormais, Brassens est nourri tous les soirs et reçoit même un chèque. Très vite, il décide de confier la gestion de ses finances à Onténiente.
« Enfin, quelqu'un dont l'humour était à la fois tendre et féroce, qui parvenait à se montrer totalement original tout en étant l'héritier d'une tradition française de poètes-chansonniers contestataires de l'ordre établi et ceci, avec une présence indiscutable ». (Jacques Canetti, propriétaire des Trois Baudets et directeur artistique chez Philips). Canetti a vu chanter "le moustachu" et l'invite sur ses tournées. Patachou lui donne un costume retouché de Maurice Chevalier, Pierre Nicolas Ie rejoint avec sa contrebasse et devient son complice.



Le voilà lancé. Brassens est engagé aux Trois Baudets. Il s'achète une Lambretta. Tout s'accélère Noir, buté, farouche, suant le trac derrière ses grosses bacchantes, les yeux baissés, le pied gauche sur une chaise, Brassens ne s'habitue pas à la scène. Pourtant, tous les soirs, sa guitare, ses textes rageusement comiques et sa voix rugueuse cassent la baraque. Après les Trois Baudets, il continue la soirée à la Villa d'Este ou au Vieux Colombier. Physique de bûcheron, tête de bandit calabrais, allure de clodo, Brassens détonne. Très vite, on se déplace pour voir le phénomène, on en parle à ses amis et on les ramène. René Fallet, du Canard Enchaîné salue l'artiste comme un frère qu'il devient d'ailleurs très vite, « Brassens est un bon gros camion de routier lancé à toute berzingue sur les chemins de la liberté ».
Parallèlement, Canetti tente de faire chanter du Brassens par des interprètes prestigieux (Chevalier, les Frères Jacques, Montand), tous acceptent puis se défilent. Seul Brassens peut chanter Brassens.
Fin 1952, Brassens, signé chez Philips par Canetti, enregistre ses premiers disques, quatre 78 tours, sur le label Polydor (la maison-mère craignant pour son image de marque). Les titres sont immédiatement interdits de radio. Première censure et premier Prix (Académie Charles Cros). Le moustachu bourru ose rire des valeurs sociales établies et descend, en vers, les Institutions. La polémique commence.
Ferré, Mouloudji, Brel, Gréco, Leclerc, depuis quelque temps, ça bouge sur la Butte. Le bouche-à-oreille fonctionne et on s'intéresse au nouveau style (vite nommé chanson "rive gauche"). L'Auteur-Compositeur-Interprète est porté aux nues et une nouvelle génération s'engouffre dans la brèche ouverte par Brassens.
En 1953, ça démarre. Brassens passe en vedette dans quelques cabarets parisiens, part chanter à Bruxelles puis dans 36 villes à travers la France avant d'attaquer Bobino au mois d'octobre, en tête d'affiche.



Son roman, La tour des miracles, est édité. Il raconte les aventures des locataires du 7e étage d'une maison déglinguée, vivant au mépris des règles établies de travail, famille, mariage et bienséance. Brassens écrit la vie dont il rêve.
Après de longues années d'absence pendant lesquelles il entretenait des relations épistolaires permanentes avec Elvira et sa soeur Simone, Brassens met son scooter dans le train et ose retourner à Sète. Dès lors, Brassens-le-fils y reviendra réguliè-rement. Déjeuner avec ses parents, traîner avec ses amis, partir pêcher en bateau.
Malgré le succès incontestable de son fils, Elvira n'est pas convaincue. Elle aurait préféré le voir en ténor "bien comme il faut". - « Quand elle a commencé à entendre "Hécatombe", "Marinette ", ça lui a fait de la peine, je pense que cela lui a gâché son plaisir ». Elvira et Louis ne viendront jamais le voir sur scène. Brassens chante pour sa génération, pas pour la leur.
La nouvelle renommée n'a pas déboussolé le trentenaire qui en partage les fruits avec ceux qui l'ont toujours entouré. Les premiers cachets transforment la petite maison de l'impasse Florimont. Eau, gaz et électricité, le confort arrive chez les humbles et les amis de passage n'ont plus besoin d'amener leur bifteck. Après son boulot, Onténiente commence à travailler sur l'organisation des tournées et les projets d'affiche. Brassens lui propose de s'occuper à plein temps de ses affaires. Le secrétaire officieux, l'ami-confident est promu gérant. Onténiente devient "Gibraltar", le Roc, le passage obligé entre Brassens, le métier, les quémandeurs et les amis. Celui qui le protège et fabrique le cocon dont il a besoin.
Emploi du temps immuable et vie extrêmement réglée autour du métro Plaisance, Püppchen dans l'ombre, Gibraltar aux finances, Nicolas à la contrebasse, Philips à l'usine, le système Brassens est en place... Ad vitam aeternam.
Brassens est lâché et profite des années investies dans l'écriture. Olympia, Bobino, salles combles, tournées ininterrompues, en 16 mois Brassens chante un soir sur deux dans six pays. Mais déjà, il doit lutter contre un mal qui ne le lâchera plus. Calculs et coliques néphrétiques. Georges cache sa souffrance.



Brassens dérange. Par ce qu'il dit et par la manière dont il le dit. Entre 1952 et 1954, la moitié de ses chansons sont interdites d'antenne ou passent après minuit. Censurées, contestées, indésirables, les chansons de Brassens commencent malgré tout à trouver leur public. Europe n°1, la nouvelle-née de la radio, se démarque de ses consoeurs et programme les artistes interdits sur la RTF et Radio Luxembourg. Le gorille passe à l'antenne. Le vent tourne. Avec la Chanson pour l'Auvergnat, Brassens entre tout doucement dans la mémoire collective. L'image du polisson de la chanson évolue.
Au début de sa carrière, on l'enferme dans une image d'ours mal léché, bouffeurs de flics et de curés, alors qu'il se réclame d'une tradition à la fois orale et écrite de gauloiserie et de paillardise qui remonte au Moyen Age. « Une chanson c'est une fête de rimes et de mots... Si vous voulez le fond de ma pensée, je vous dirais que j'aurais préféré être un grand poète. Le jour où je me suis aperçu que je n'en étais pas un, que j'étais un poète mineur, je me suis mis à faire de la chanson ».Au fil des albums, Brassens se sert de son amour et de sa connaissance de la langue pour jouer le trouble-fête dans des fabliaux décapants où il prône l'amour libre, l'abolition de la peine de mort et le pacifisme. Images, rimes et chutes. Brassens. réinvente le passé, pour remuer le présent.
« Il faut que la musique soit comme de la musique de film, qu'elle soit en dessous, il faut qu'on l'oublie et que cela me vaille le titre du type qui ne sait pas écrire la musique ».
Des dizaines de mélodies imparables, des airs que l'on fredonne, le type-qui-ne-sait-pas-écrire-la-musique a réussi son coup. Et tous ceux qui se sont cassé les ongles à essayer de le jouer, ne s'y trompent pas. Au piano ou à la guitare, Brassens compose avec soin, toujours à la recherche de l'osmose entre musique et mots.



« Sa manière de chanter est souvent comparable à celle des chanteurs de blues, notamment par sa mise en place et sa façon d'attaquer un peu en retard sur l'accompagnement » (Boris Vian).
De la paume de la main, du bout des doigts, du pied, Brassens a élaboré sa musique en solitaire intuitif. Loin des normes, il s'octroie une grande liberté dans les accords, les temps et l'harmonie et ressuscite les rythmes de la tarentelle ou de la gigue. Terroir, guitare et rude voix chaude, Brassens sonne blues. « Ma musique préférée, c'est la musique de jazz, je suis un forcené de la musique de jazz ».
L'auteur-compositeur devenu interprète à reculons ne se fera jamais à la scène. D'autant que son mal s'accentue progressivement, le tordant de douleur et l'obligeant même à venir en ambulance à l'Olympia en 1962 pour assurer son récital avant de regagner l'hôpital. Brassens assume stoïquement son calvaire.
Choix esthétique et provocation, Brassens refuse de céder aux pressions en faveur de l'orchestration. Il s'efforce de préserver son identité et de construire une oeuvre qui résiste aux caprices de la mode. « Une chanson doit se juger nue ». Une chaise, une guitare, une contrebasse, un verre d'eau et un ampli de 7o watts, des Trois Baudets au TNP de Chaillot où il passe en 1966 avec Juliette Gréco, son style ne variera pas d'un pouce. Epuré à l'extrême.
« Georges, en réalité, était un peu paresseux et son ambition, c'était de ne rien faire d'autre qu'écrire, ce n'était pas de passer en public. Il n'y passait qu'en fonction de ses besoins, c'est-à-dire le moins souvent possible » (Pierre Onténiente).
Brassens va traverser ainsi tranquillement trois décennies, à son rythme. Un
album tous les 2 ou 3 ans, quand il estime que les chansons choisies sont prêtes.
Sa discipline d'écriture, sa recherche perpétuelle sur ses cahiers d'écoliers ou sur son magnétophone à bandes qui le suit partout, lui permettent d'avoir à disposition un immense réservoir de textes et d'enregistrer quand cela lui plaît. La plupart du temps, la version définitive est trouvée sur scène, devant son public.



Pour l'enregistrement, il s'adjoint seulement le soutien rythmique d'une seconde guitare, celle de Victor Apicella au "touché Django", et par la suite, celles de Barthélémy Rosso et de Joël Favreau. Il s'installe dans le studio, prend tranquillement le temps de plaisanter avec ses amis, d'accorder sa guitare et, en deux-trois prises, les titres sont en boîte. Brassens-le-débonnaire laisse Nicolas juger de la qualité de l'enregistrement avec André Tavernier, le co-producteur artistique, et retrouve Püppchen et Onténiente dans une pièce à côté. De part et d'autre, ni commentaires, ni louanges, ni critiques. On n'ose pas.
Dans les années 60, il confirme son ascension phénoménale de la décennie précédente. L'arrivée des yéyés, impitoyable pour les vieilles vedettes, ne le dérange pas.
Après des années de tournées incessantes, il va pouvoir se reposer. Il n' a rien à prouver et ne se sent pas menacé. Il continue son chemin de petit bonhomme entre l'impasse Florimont, la maison de Crespiéres achetée en 1958, le travail, un tour au Québec, ses potes, l'opération d'un rein et des récitals à Bobino. Brassens suit "les événements de 68" du fond de son lit d'hôpital où il "Fait des calculs".
« Ma vraie place, c'est quand je suis à ma table avec ma guitare à la main et que - j'écris une chanson ». Brassens est casanier routinier et vit toute sa carrière hors de la logique du show-business. Il s'en sert comme cela l'arrange et rien de plus. Multiplier les tournées et les interviews aurait abouti à écrire moins de chansons. Brassens écrit pour son plaisir et chante parce que c'est son métier.
En amitié comme en toutes choses, Brassens est avant tout un type fidèle. Sa porte et sa table seront toujours ouvertes à ceux qui l'accompagnent et le soutiennent depuis le début, à ceux qui lui plaisent et à d'autres, que sa timidité et sa réserve n'arrivent pas à éloigner. Des "Sétois" des rêveries de la plage aux "Allemands", jusqu'aux "Parisiens" issus principalement des métiers de la littérature et du spectacle, "la bande de cons" n'a fait que s'agrandir. « Il avait autant de copains qu'il y eut de résistants après la guerre » (Victor Laville, pote sétois).



Brassens est un solitaire n'aimant pas être seul. Imperturbablement matinal, il travaille jusqu'à midi, puis règle avec Gibraltar les affaires en cours. Ce qui lui laisse l'après-midi pour recevoir ses potes venus d'horizons très divers. Une bande de joyeux lurons que Georges-la-zizanie s'amuse parfois à monter les uns contre les autres. Impasse Florimont ou rue Santos-Dumont où "le gros" emménage en 1970, la bande est une grande fratrie masculine qui se réunit souvent autour de la table de la cuisine pour lever le coude, discuter, rire et pleurer.  « Ca m'arrive souvent d'aller chez Georges et il ne dit rien, il gratte sa guitare et moi je suis de l'autre côté de la table, je le regarde et puis on ne se dit rien et on est contents » (Pierre Louki).
Au moulin de Crespières, entre amis, femmes et animaux, Brassens réalise un vieux rêve, celui d'une maison partagée. On y travaille pour se faire les muscles et le cercle y est un peu plus restreint, même si Guy Béart y amena un jour Georges Pompidou, désireux de discuter de son Anthologie de la poésie française. Mais Brassens-le-lucide est bien placé pour savoir qu'à partir de deux, on est une bande de cons et, même s'il ne l'exprime pas, il sait faire le tri entre ses visiteurs. Il aime avant tout être tranquille.
Dans sa vie privée, qu'il protège férocement de la curiosité des médias, Brassens ne veut ni femme, ni enfant. Il veut avoir pour lui la disponibilité totale de son personnage. Pour se consacrer entièrement à la chanson,
Alors, durant trente-cinq ans, il poursuit tranquillement, à l'abri des regards indiscrets, ses amours avec Püppchen. Leur seul foyer commun sera la maison de Crespières qu'elle aménage pour eux. Crespières, havre de paix et bagne pour les copains, qui creusent, débroussaillent, tondent, décrépissent. « Je serais insupportable au quotidien, je ne veux pas qu'elle ait à me supporter tous les jours ». Brassens chante l'amour. Un amour libre, gratuit et faisant fi des obstacles de classe ou d'argent. Promettant l'amour dans un coin de son corsage, la femme y apparaît, tour à tour mère universelle, bon petit diable, mégère gendarmicide, emmerderesse, traîtresse, épouse modèle, adultère, voisine, salope, pucelle ou putain. Omniprésente.



Elvira, Simone, Jeanne, Püppchen, Patachou  et les autres, Brassens a toujours été soutenu par la "féminine engeance". En retour, il lui chante son respect, loin des clichés sur la virilité.
Ultime obsession et thème majeur la mort. Tout au long de sa vie, Brassens ne cesse de la tutoyer pour l'apprivoiser. Contrairement au silence de mise sur le sujet, il en fait un sujet de plaisanterie, se ballade dans les cimetières et mélange allègrement blagues morbides et réalité sinistre. Dés 1953, Brassens vit avec la maladie et sait  "qu'en acceptant de vivre, il a accepté de mourir" mais il n'est pas pressé d'en finir. Brassens est persuadé qu'il vivra centenaire. « Si l'on croit en Dieu, ce n'est pas grave la mort, et si l'on ne croit pas en Dieu, ce n'est pas grave non plus, on disparaît et puis c'est tout ».
Agnostique plutôt qu'athée. Père éternel, Grand Manitou, Jéhovah ou Bon Dieu de chez nous, Brassens doute et ne croit pas. Mais il aimerait bien.  « Je parle beaucoup de Dieu, je le cherche un peu, dans mes chansons. J'espère quand même, s'Il existe, qu'un jour, Il ne va pas tarder à me faire signe, parce que c'est long ». A partir du début des années 60, la camarde... le poursuit d'un zèle imbécile. Les vrais enterrements commencent et le ton change. En décembre 1962, Brassens chante à l'Alcazar de Marseille lorsque Elvira-la-Mère meurt. En 1965, après avoir raccompagné plusieurs amis, il perd également son père et Marcel Planche.
Un an plus tard, il entonne sa "Supplique pour être enterré à la plage de Sète "et commence à rêver d'une "tombe en sandwich entre le ciel et l'eau".



En 1971, il abandonne Crespières cerné par les tondeuses à gazon et se rapproche de la mer en achetant la maison de Lézardrieux, en Bretagne (le pays de Jeanne, morte trois ans plus tôt).
Entre Santos-Dumont, Lézardrieux et Sète, Brassens continue d'écouter les nouveautés, d'écrire, de lire et de composer. En 1977, il monte sur la scène de Bobino. Ce sera la dernière fois. La maladie le ronge depuis un moment et, même s'il ne veut pas l'admettre, cette fois-ci, c'est du sérieux. En septembre 1980, il accepte enfin d'être hospitalisé. Après une opération, Brassens se refait une petite santé rue Santos-Dumont et se remet à penser projets.
L'été 1981 sera difficile et, en octobre, Brassens l'amaigri part en convalescence dans Le Sud, dans la famille de son médecin. Püppchen est à son chevet et Onténiente rapplique en catastrophe de Paris avec la voiture que Brassens lui a demandé d'amener. Un orage terrible et une fuite d'huile le bloquent à Montélimar et le malade ronchonne : « il va encore me saloper la voiture ». Georges vient d'avoir 60 ans. C'est son dernier anniversaire.
«Je ne mourrai pas à Monfaucon mais dans un lit comme un vrai con». (Le moyenâgeux)