«« Normand Lester

Lester a étiré l'élastique

Julie Lemieux
Le Soleil Le vendredi 23 novembre 2001


Il est difficile de se porter sans retenue à la défense du journaliste Normand Lester, qui a été suspendu avec solde par la Société Radio-Canada après la publication de son bouquin Le livre noir du Canada anglais. Car le reporter devait savoir que ses propos ne cadraient pas très bien avec le cahier des normes et pratiques journalistes de la société d'État. Des normes qu'il s'était engagé à respecter en acceptant de travailler pour la SRC.

Ce document de 215 pages énonce clairement l'obligation des journalistes de l'entreprise publique de faire preuve d'une crédibilité et d'une objectivité exemplaires. Ainsi, la société d'État force entre autres les reporters à éviter toute situation qui pourrait jeter un doute sur leur impartialité, leur indépendance, ou celles de l'entreprise.

M. Lester soutient que son livre ne constitue pas une prise de position politique qui remettrait en question son devoir d'impartialité, mais cet argument n'est pas très convaincant. Si une bonne partie du bouquin s'appuie sur un travail d'enquête incontestable, certains commentaires ternissent l'objectivité du journaliste et relèvent davantage du pamphlet.

C'est le cas d'affirmations gratuites et non appuyées comme « Le Canada anglais n'est pas vraiment une société réputée pour ses capacités d'autocritique », ou comme « Les Canadiens anglais sont fermement convaincus de leur supériorité morale non seulement sur les Québécois, mais également sur les Américains ». L'auteur utilise également à plusieurs occasions des mots durs et sans appel qui ne laissent subsister aucun doute sur ses opinions.

Il n'est donc pas si étonnant que Radio-Canada ait décidé de sévir et de suspendre avec solde le journaliste jusqu'au terme de l'enquête administrative dont il fait l'objet. Ce qui surprend, par contre, c'est que la société d'État n'ait pas réservé le même sort à tous ceux qui ont, par le passé, transgressé ces fameuses normes journalistiques.

On n'a qu'à penser à Robert-Guy Scully ou au commentateur sportif Don Cherry, qui ont, chacun à sa façon, ignoré les rzgles maintenant invoquées par la SRC pour condamner le travail de Normand Lester.

Le président du Syndicat des communications de Radio-Canada, Michel Couturier, préfzre citer l'exemple de David Suzuki, qui anime l'émission The Nature of Things sur les ondes de CBC. Car dans ce cas, la société d'État ne peut arguer qu'il s'agit d'un collaborateur ou d'un employé à contrat. Malgré ses prises de position publiques et son engagement avoué pour diverses causes écologistes, engagement appuyé par la création de son propre site Internet, M. Suzuki n'a pas été retiré des ondes.

Si elle tient si fermement à ses normes journalistiques, comment la société d'État peut-elle justifier l'utilisation de ces doubles standards ? La population a donc raison de se demander si les conflits répétés entre Normand Lester et ses patrons n'ont pas influencé cette décision.

Pour l'avenir, la SRC a deux choix : soit qu'elle respecte scrupuleusement ses propres rzgles et sévit à chaque fois qu'elles sont transgressées, peu importe l'identité du contrevenant ; soit qu'elle les assouplisse pour redonner un peu plus de liberté à ses employés.

Certains soutiennent en effet que les normes journalistiques de la SRC contreviennent à la Charte des droits et libertés puisqu'elles empêchent les journalistes d'avoir des opinions, d'avoir une vie en dehors de Radio-Canada. Mais seul un tribunal pourrait faire la lumizre à ce chapitre. En attendant, l'affaire Lester forcera l'entreprise à se pencher sur la question.

Chose certaine, la sympathie dont fait l'objet Normand Lester au sein de la population québécoise démontre que la société d'État n'a pas la cote et a perdu la confiance de bon nombre de citoyens, qui jugent trzs sévzrement ses agissements. Peut-être parce que la SRC est devenue trop politisée et a donc du mal à prouver qu'elle répond aux critères d'impartialité qu'elle exige de ses propres employés.