LES GARNIS PARISIENS AU XXe SIECLE

Les garnis parisiens dans l'entre-deux guerres [2]

Aspects morphologiques des garnis
Enquête dans les services du Casier Sanitaire des maisons de Paris entre 1931 et 1942

 

L' "opportunité" des visites sanitaires pour l'étude des garnis

Une des questions posées est celle des caractéristiques du garni par rapport au logement locatif ordinaire. En effet, si aujourd'hui, le parc en hôtel meublé apparaît comme résiduel, offrant un habitat disqualifié et disqualifiant, ultime recours des populations exclues du logement ordinaire, il n'en a pas toujours été ainsi. Si aujourd'hui, un bon nombre des hôtels meublés parisiens et surtout de banlieue sont hors normes, et présentent la triste particularité d'offrir des conditions de logement souvent déplorables pour un coût très élevé, on fait l'hypothèse qu'hier, l'hôtel meublé était plus proche, par ses caractéristiques physiques et par celles de la population résidente, du logement locatif ordinaire. Il est donc probable que cet habitat se distinguait moins nettement qu'aujourd'hui de l'habitat environnant. Si de telles hypothèses se vérifiaient, cela signifierait que ce parc a connu une évolution spécifiquement négative par rapport aux maisons ordinaires.

C'est pour répondre à cette série de questions que nous avons mené une enquête dans les archives du Casier sanitaire de la ville de Paris. Du point de vue documentaire, les archives émanant du service technique de l'habitation et du Casier sanitaire offrent une série d'environ 600 bulletins de visites portant essentiellement sur la période 1931-1943, source à la fois riche et homogène. Quelle est l'origine de cette source ? elle tient toute entière dans le projet d'assainissement des îlots insalubres, à partir de la création du Casier sanitaire des maisons de Paris. Elle consiste en un formulaire très détaillé sur l'état des maisons et des logements complété par un repérage des causes d'insalubrité, des remarques et des prescriptions concernant les améliorations à apporter ou les interdictions à prononcer. Le formulaire étant identique pour les hôtels et pour les maisons ordinaires, la série offrait donc la possibilité d'une approche comparative.

Le repérage des causes d'insalubrité constitue, à travers la source qui en résulte, une aubaine pour qui se propose d'étudier la structure physique du parc des hôtels meublés parisiens par rapport au logement ordinaire dans l'entre-deux-guerres. En effet, les descriptions connues ressortent généralement de descriptions données soit par des enquêtes policières ou médicales, soit par des sources littéraires ou des témoignages de contemporains. Si ces dernières ne sont certainement pas à négliger, elles partent toutes nécessairement d'un point de vie orienté : qu'il s'agisse de dénoncer les conditions d'hygiène des lieux ou de moralité des habitants, qu'il s'agisse au contraire d'en faire sentir les aspects tragiques ou bienfaisants à travers une expérience vécue, le point de vue ne permet qu'indirectement un aperçu objectif. Par ces propos, nous ne voulons certes pas attribuer un caractère d'objectivité à la source que nous avons travaillée : en effet, celle-ci n'existe que par un concours de volontés qui aboutit à la mise en place d'un dispositif de lutte contre l'insalubrité du logement. Mais l'avantage en est que pour ce faire, l'administration a mis au point un formulaire type qui demeurera inchangé pendant plus d'un demi-siècle. En sus, une large partie est laissée à l'appréciation des visiteurs, mais toujours sur le même canevas, qui consiste à relever ce qui, dans l'habitat, apparaît comme contraire aux normes, et à prescrire en conséquence les mesures qui s'imposent. Il s'agit donc d'une description interprétative de l'habitat visant à une action qui, globalement, tardera à se réaliser. Voici pour la nature de la source.

En quoi celle-ci nous permet-elle de mieux connaître les garnis ? Il se trouve que l'inventaire des causes d'insalubrité s'est effectué pour des portions de la ville de Paris, appelés les "îlots insalubres" ou encore les "îlots tuberculeux" - à la suite d'une opération politique et statistique dont nous expliciterons certains aspects un peu plus loin - dans lesquels les hôtels meublés sont en nombre. Situés particulièrement dans les quartiers populaires, les garnis sont logiquement "sur-représentés" dans les îlots insalubres. Dans l'esprit des promoteurs du Casier Sanitaire et des îlots insalubres, les deux éléments sont d'ailleurs intrinsèquement liés : l'insalubrité colle aux garnis comme la misère au petit peuple qui les habite. C'est pourquoi les services qui ont en charge le traitement de l'insalubrité, nous parlent abondamment des garnis. D'autre part, le fait que les garnis soient particulièrement nombreux dans les îlots insalubres constitue un enjeu dans le conflit qui oppose la ville de Paris à la préfecture de Police, les garnis relevant de la responsabilité et de l'action du préfet de police, ainsi qu'on l'a vu plus haut. Aussi, lorsque les services de Paul Juillerat délimitent les îlots insalubres, ils inscrivent du même coup tous les garnis qui en font partie dans le champs de leur compétence et de leur intervention directe. Les hôtels et les maisons meublées peuvent dès lors, au même titre que les maisons ordinaires, être visités par les enquêteurs du service de l'Habitation. "Le thème des hôtels meublés montre comment les conflits institutionnels de définition de compétence entre acteurs ont rendu nécessaire une action publique territorialisée, formalisée autour de la question des îlots insalubres. Ainsi, la question des populations flottantes et de leurs modes de vie représente une constante de la description de ces lieux. Dès lors, les hôtels meublés, où ces populations sont supposées vivre, sont souvent évoqués comme une cause de la détérioration des conditions d'habitat. Même si les hôtels meublés ne constituent pas la majorité des logements dans les îlots insalubres, il semble bien que la délimitation de ces secteurs meurtriers ait pour objectif d'éliminer ce type d'habitat, sous la responsabilité de la Préfecture de Police en conflit direct et ouvert avec la Préfecture de la Seine et de son conseil municipal".

Nous disposons donc d'une source qui présente l'avantage de traiter en même temps (et de manière identique pour ce qui est du bulletin de visite, car le formulaire est le même dans les deux cas), les hôtels meublés et les maisons ordinaires, ce que n'offrent jamais les sources policières. L'ensemble de l'opération fait parfois l'objet d'un tableau récapitulatif. Nous avons retrouvé celui de l'îlot 1 établi en 1942.

Une statistique récapitulative de l'îlot 1 en 1942

L'îlot 1 (qui recoupe une partie des quartiers Saint Merri et Sainte Avoye) présente les effectifs suivants en 1942 : sur une population totale de 10 611 personnes logées dans leurs meubles, on trouve 7 919 dont 2 196 enfants. La population qui réside en hôtel est comptée différemment : l'effectif n'en est pas donné directement. Ce qui est donné, c'est la capacité en lits des chambres en meublé. Il convient ici de s'arrêter sur cet aspect très important de la question, qui tient à la définition même de la population logée en garni. En effet, celle-ci, dans l'esprit de l'administration, diffère de la population qui vit dans ses meubles. La différence tient à la mobilité, réelle ou supposée, de cette population, qui dès lors est considérée comme "population de passage" c'est-à-dire ayant sa résidence principale ailleurs. Dans bien des cas, cette définition ne correspond pas à la réalité, puisque les populations logées en garni y ont, de fait, leur résidence principale : ce sont par exemple beaucoup des "petits métiers" de Paris. C'est d'ailleurs ce qui explique que les agents qui avaient en charge la visite des maisons et le recensement de la population résidante semblent hésiter entre deux attitudes : celle qui consiste à enregistrer les personnes qui habitent effectivement dans les maisons visitées au moment du passage, qu'ils s'agisse d'hôtels meublés ou de maisons ordinaires, d'une part ; celle qui consiste à considérer toute la population des hôtels comme des clients nomades, et donc à ne pas les dénombrer, ou plutôt à ne dénombrer que les chambres, d'autre part. C'est un des points les plus délicats de l'interprétation de nos sources, ambivalentes quant à l'enregistrement des populations logées dans les hôtels. Ce que l'on compte dans la statistique, c'est donc le plus souvent la capacité des chambres des hôtels compris dans l'îlot.

Si l'on considère que la capacité des hôtels est utilisée à plein - c'est-à-dire qu'il n'y a pas de chambres vacantes, mais pas non plus de sur-occupation illégale - les locataires en garni sont au nombre de 2 692. La population totale de l'îlot 1 s'élève donc à 13  303 personnes, parmi lesquels les habitants des garnis représentent (potentiellement) 20,2 % du total. Un cinquième des habitants logés en garni, voilà qui conforte l'idée de l'abondance des garnis dans les îlots insalubres.

Cette statistique ne nous permet pas, bien sûr, une comparaison terme à terme de la composition des ménages des logés en meublé et des locataires ordinaires. Mais on peut remarquer tout de même qu'au sein des locataires ordinaires, les ménages sans enfant sont au moins deux fois plus nombreux que les ménages comprenant au moins un enfant.

Tableau 1 : structure des ménages parmi les locataires ordinaires de l'îlot 1, 1942 effectifs en  % du total des ménagesMénages sans enfants : 3 385 - 70.5 %
Ménages avec au moins un enfant : 1 415- 29.5 % Total des ménages 4 800 - 100 %
Source : service technique de l'hygiène de l'habitation et du casier sanitaire, Ville de Paris

On remarque également que les familles ne sont guère nombreuses : dans l'îlot 1 en 1942, la part des familles comprenant plusieurs enfants n'est pas très importante : 60,6 % des familles ne compte qu'un seul enfant, tandis que les familles nombreuses sont relativement rares : elles représentent 13 % des ménages avec enfants.

Grâce au tableau récapitulatif qui inclut donc les chambres en meublé, nous connaissons la structure de la capacité d'accueil des hôtels meublés de l'îlot 1 pour l'année 1942. Comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous, les statistiques montrent que 52,8 % des chambres sont des chambres de célibataires, ce qui correspond à une proportion de 33,7 pour cent habitants de meublés. Les chambres pour deux personnes représentent 39,7 % du total des chambres, mais elles logent la moitié (50,6 %) des habitants des locataires des meublés. S'agit-il de couples ? S'agit-il d'individus célibataires partageant le logis ? La même question se pose pour les chambres de 3 ou 4 personnes, sans que l'on puisse répondre à la question. Quant aux chambres de plus grande capacité, elles sont peu nombreuses, et correspondent en fait à des chambrées de célibataires.

Il apparaît donc que si la majorité des chambres d'hôtel sont des chambres à une personne (52,8 %) ou à deux (39,7 %), dans l'hypothèse d'un taux de remplissage maximum, il n'en demeure pas moins qu'une forte majorité des clients des hôtels meublés (66,3 %) partagent leur chambre avec un colocataire, quel qu'il soit, tandis qu'un peu plus d'un tiers habite seul.

Tableau 2 : statistique des chambres d'hôtel de l'îlot 1, 1942 Source : service technique de l'hygiène de l'habitation et du casier sanitaire, Ville de Paris
nbre chambres  % nbre personnes  %
chambre 1 pers. 906 52,8 906 33,7
chambre 2 pers. 681 39,7 1362 50,6
chambre 3 pers. 123 7,2 369 13,7
chambre 4 pers. 4 0,2 16 0,6
chambre 5 pers. 1 0 5 0,2
chambre 6 pers. 1 0 6 0,2
chambre 7 pers. 0 0 0 0
chambre 8 pers. 1 0 8 0,3
chambre 9 pers. 0 0 0 0
chambre 10 pers. 2 0,1 20 0,7
total 1719 100 2692 100

Comment se présente l'îlot 1 ?

Les rues Aubry-le-boucher, quincampoix, Saint-Merri, des Lombards, Simon-le-franc, de Venise et de Beaubourg, promises à l'élargissement, sont encore à l'époque bordées de bâtisses hautes et densément peuplées, en particulier par ceux qui vivent du "ventre de Paris", ces Halles qui attirent une importante population flottante. Les descriptions qui en sont données par les contemporains sont-elles pour autant à prendre au pied de la lettre ? D'honorables commerçants habitent aussi le quartier, Zola nous le rappelle. Mais l'image qui domine, du moins dans les débats du Conseil municipal où les "îlots" sont omniprésents, est bien celle d'un vaste taudis qu'aggrave la présence des meublés :

"Le long des ruelles, des murs décrépits aux rebords souvent recouverts d'immondices percés de grandes ouvertures grillagées qui recueillent la poussière, les ordures et la crasse. Presque la moitié de ces bâtisses sont occupées par des hôtels meublés : là, c'est le va-et-vient perpétuel. Dans les locaux au rez-de-chaussée les échoppes des brocanteurs voisinent avec les débits de vin. Surtout, dans chaque maison, un local, un cabaret, débit, taverne ou comptoir qui sert d'asile hospitalier à cette population misérable. Quant aux locataires, ils ne viennent y chercher qu'un abri de passage. Huit, quinze jours plus tard ils auront déguerpi ! Une paillasse pour dormir, avec un semblant de drap, une chaise défoncée pour y jeter leur guenille, un verrou qui se ferme : que leur importe le reste ?"

Cette citation est significative car on y repère les représentations dominantes sur les îlots insalubres et au delà, sur l'habitat populaire : saleté, promiscuité, instabilité, alcoolisme, la présence de nombreux hôtels meublés entraînant une "nomadisation" du quartier. Saleté, absence d'entretien des lieux et circulations accélérées sont donc les symptômes - avec la mortalité tuberculeuse - auxquels ont reconnaît à coup sûr un "îlot insalubre". Frappante, cette description n'en est pas pour autant en tous points fidèle, nous le verrons.

D'une manière générale, donc, les garnis sont fréquents dans les îlots insalubres. Insalubres parmi les insalubres, ils contribueraient fortement à la dangerosité du quartier. Or, si les bulletins ne nous donnent pas la possibilité d'arriver jusqu'aux populations, ils offrent en revanche une description très fouillée du bâti et de l'état d'entretien. Côté populations, seuls les effectifs sont fournis, au niveau de la maison mais aussi au niveau de chaque logement. On connaît aussi, par son nom, le propriétaire (parfois le nom des locataires est donné), et son domicile. Côté bâtiment, le descriptif est très riche : nature des matériaux, type de construction, nombre d'étages, et par étage, de logements, caractéristiques des adductions et des vidanges, nombre de points d'eau et de WC, chauffage ; par logement, le nombre de pièces, parfois la superficie. Enfin, les causes d'insalubrité, au niveau de la bâtisse et au niveau de chaque logement, ainsi que les observations et prescriptions qu'il convient de faire.

En résumé, la forte proportion des garnis dans les îlots insalubres et l'existence de bulletins de visite permettent une approche comparative, du point de vue de la densité du peuplement mais surtout du point de vue des caractéristiques physiques des constructions, des hôtels meublés et des maisons ordinaires.

La source elle-même et sa genèse : du casier sanitaire aux îlots insalubres

Entre les deux guerres, nouvel âge d'or du garni parisien, l'hôtel meublé était plus proche, par ses caractéristiques physiques, et sans doute par sa population résidente, du logement locatif ordinaire. Dès les lendemains de la première guerre mondiale, on constate la transformation, par les propriétaires, de nombre de maisons de rapport en meublés, qui sont ainsi exploitées de manière plus rentable. Les appartements sont subdivisés en chambres, sommairement meublés et confiés à un principal locataire qui devient gérant de l'hôtel déclaré - en principe - auprès du service des garnis de la Préfecture de police. La situation est donc celle d'un parc similaire, voire identique, du point de vue du bâti, entre les établissements meublés et les maisons louées ordinairement. Par contre, ce parc est sous le contrôle du préfet de police. A travers l'analyse d'une série de bulletins de visites sanitaires effectuées entre 1931 et 1943 par les enquêteurs du Service technique de l'hygiène de l'habitation et du Casier sanitaire, ce sont les conséquences sur le parc de cette situation nouvelle que nous cherchons ici à cerner.

Si l'on trouve des bulletins correspondant à des visites effectuées entre 1896 et 1960, la plupart des bulletins exploitables - c'est-à-dire complets - se situent dans l'entre-deux-guerres et pendant l'Occupation - c'est-à-dire à une époque où l'opération de repérage des causes d'insalubrité bat son plein avec encore peu de résultats en terme de démolitions : situation relativement idéale pour la recherche, dans la mesure où les maisons visitées dans les îlots insalubres ne sont pas encore touchées par les opérations d'assainissement, comme ce sera le cas de manière plus massive dans les années 60. Le hiatus entre les dispositifs de repérage et leurs effets concrets - travaux et démolitions - constitue l'espace de description dans lequel la recherche est menée : inlassablement, méticuleusement, en deux vagues (de 1931 à 1934, puis de 1941 à 1943), les architectes-voyers partent sur le terrain - maisons ordinaires et hôtels meublés - à la recherche des causes d'insalubrité, les repèrent, les recensent, les décrivent pour finalement prescrire des travaux ou proposer des interdictions d'habiter qui d'ailleurs, nous le verrons, seront peu suivies d'effet.

Afin d'analyser correctement les renseignements fournis par ces bulletins de visite, il convient à présent de revenir sur la genèse de cette action administrative particulière.

Au commencement fut la création du Casier sanitaire des maisons de Paris. Quels sont les éléments qui en permirent l'élaboration ? Dans les dernières décennies du 19e siècle, l'échec de la loi de 1850 sur les logements insalubres paraît patent, et une opération d'une autre envergure est souhaitée à la fois par ceux qui sont animés du désir d'en finir avec l'insalubrité et les mauvaises conditions de logement, et ceux qui, usagers de la ville ou constructeurs, en attendent un meilleur "rendement". Tenaillés par la peur de la contagion cholérique - une nouvelle épidémie de choléra à Paris sévit à Paris en 1853-54 - les autorités créent des commissions d'hygiène dont les membres obtiennent autorisation officielle de pénétrer dans les logements privés sans plainte préalable. Dans l'actuel 12e arrondissement (anciennement le 5 e) le maire note que toutes les maisons de l'arrondissement ont été préventivement visitées pendant l'hiver 1853. Seuls, les propriétaires de 53 maisons se sont montrés réfractaires. Un réseau très actif de signalement est mis en place. Pourtant, le zèle des visiteurs et des autorités locales se heurte à la carence de logements : le 14 mars 1854, le secrétaire général des commissions d'hygiène note que "dans ce moment on est forcé d'user de tolérance car les logements manquent pour la classe ouvrière". Et le commissaire de police de confirmer: "devant loger les gens, on ne peut enlever les lits des "cabinets" insalubres ou des chambrées surpeuplées".

Mais une offensive d'envergure contre la tuberculose nécessitait de tout autres moyens, et en particulier une définition universelle du logement insalubre qui pourrait fonder l'action publique. Les rapports soumis à la Commission des Logements Insalubres, qui fonctionne depuis 1851, servent de base à un questionnaire progressivement mis au point, et qui porte sur l'occupation des logements, mais surtout sur l'état du bâti, l'aération, la ventilation, les systèmes d'adduction des eaux et de vidange, l'état des sols dans les logements, le repérage des nuisances industrielles. Cette démarche, confortée par le docteur Du Mesnil, président le la Commission des Logements Insalubres, fait du garni l'objet des premières mesures préfectorales, fixant les normes en matière d'hygiène et de sécurité.

Institué en 1894, le Casier sanitaire des maisons de Paris place au Centre de sa mission la lutte contre la tuberculose (et le cancer) par éradication de ce qui en est désigné comme la cause : l'insalubrité des maisons, et dans les maisons, des logements. D'où la création des célèbres "îlots insalubres", découpés dans l'espace parisien à partir du taux de décès par tuberculose.

Malgré le progrès des connaissances scientifiques, tout se passe comme si les réflexes générés par les épidémies de choléra étaient réactivés : il faut faire passer au plus tôt dans les mours l'obligation de déclaration des maladies, puis, sur la base des déclarations, procéder à l'assainissement du milieu ; les armes sont de deux sortes : la désinfection, d'une part, la prescription de travaux, d'autre part. Les hygiénistes fondent leurs activités sur l'association de deux éléments, le germe d'une part, le terrain d'autre part. Selon la logique d'une action portant à la fois sur l'individu et l'environnement, pour lutter contre la tuberculose cette fois, un service du Casier sanitaire est donc créé. Dans l'idée de ses promoteurs, il suffisait de dépister dans Paris les maisons insalubres, d'y détecter les maladies transmissibles et de procéder aux désinfections. "Nous sommes ramenés des gros foyers aux foyers de quartier et, en dernière analyse, à la maison insalubre. Chacune des places fortes de la tuberculose sera désignée, chaque nid de microbes sera découvert", écrit Brouardel, président de la Commission extraparlementaire de la tuberculose en France, dans un rapport daté de 1900".

C'est lors de la séance du 15 décembre 1893 qu'un budget de 20 000 francs est voté pour l'établissement du Casier sanitaire des maisons de Paris. Le Service du Casier sanitaire fera partie du Bureau d'Assainissement des habitations. Les conclusions de Paul Juillerat, qui dirige les deux services, prennent valeur d'axiomes :

"1. La tuberculose est fortement localisée à Paris : il existe des maisons et des groupes de maisons qui constituent des foyers intenses. 2. La tuberculose revient sans cesse dans ces maisons funèbres 3. La tuberculose est avant tout une maladie de l'obscurité".

Les garnis sont tout particulièrement visés.

Paris compte 75 000 maisons : l'objectif d'un recensement exhaustif force le respect, d'autant plus qu'il sera quasiment atteint. Chaque maison a son dossier. Du 1er janvier 1894 au 1er janvier 1900, on effectua 73 031 inspections de maisons. Ensuite, à partir des feuilles de désinfection et de décès tenues à jour, sont mis en évidence six "îlots insalubres". Trois sont centraux et trois situés dans les faubourgs : le premier est au coeur de Paris, dans le quartier des Halles ; le second près de l'hôtel de ville, le quartier Saint-Gervais, est connu comme "ghetto juif" ; le troisième, le quartier Saint Victor, est situé dans le cinquième arrondissement : les hôtels meublés y seraient particulièrement nombreux ; le quatrième, le cinquième et le sixième sont respectivement l'îlot Plaisance, situé dans le 14e arrondissement, les quartiers Combat-Villette dans le 19e arrondissement, et Sainte-Marguerite à cheval sur le 11e et le 12e. Après 1917, le Bureau du Casier sanitaire est intégré au Service de l'Hygiène et de l'Habitation. Les îlots se sont multipliés, on en compte à présent 17 tandis que de nouveaux périmètres ont été rajoutés aux anciens îlots. Au total, au 31 décembre 1918, l'ensemble des îlots comprend 4 290 maisons regroupant quelque 186 594 habitants, lesquels sont menacés par un taux de mortalité tuberculeuse double de la moyenne parisienne : 7,09 pour mille habitants contre 3,62 pour mille à Paris. A présent, la plupart des arrondissements sont touchés : le 3e et le 4e (îlot 1 quartiers Saint-Merri et Sainte-Avoye), le 4e encore (îlot 16, quartier Saint-Gervais), le 5e (îlot 2, Jardin des Plantes et Val de Grâce ainsi que l'îlot 3, Saint-Victor-Sorbonne), le 10e et le 11e (îlot 10, Hôpital Saint-Louis et Folie Méricourt), le 11e encore (îlots 6 et 12, La Roquette et Sainte Marguerite), le 12e (îlot 17, quartier Plaisance) ; le 13e (îlot 13, Maison Blanche, et îlot 4, quartier de La Gare), le 14e (îlot 15, Picpus), le 17e (îlot 5, les Épinettes), le 18e (îlot 9, Clignancourt), le 19e et le 20e (îlot 7, Combat-Belleville et îlot 8, La Villette-Combat, sur le 19e arrondissement), enfin, le 20e (îlot 11, Père-Lachaise).

Il s'agit, encore et toujours, d'aller repérer les "insalubrités" dans les maisons et les logements. "Il nous paraissait évident que les maisons (...) présentaient une tare quelconque qui en faisaient des lieux d'élection pour la tuberculose" écrit Juillerat.

La loi du 17 juin 1915 sur l'expropriation pour cause d'insalubrité publique donne en principe de nouvelles armes. Des commissions constituées d'architectes voyers, sont déléguées pour établir des observations sur le terrain à l'aide d'un formulaire qui demeurera inchangé jusqu'à la fin des années 1950. La démarche a pour but d'indiquer aux édiles des périmètres dangereux, mais ce sont parfois les besoins de la rénovation urbaine qui font élargir les périmètres : les démolitions, assez peu nombreuses jusqu'au début des années 50, sont regroupées de manière à permettre de véritables opérations d'urbanisme. En 1937, le Service du Plan de Paris a même proposé "l'extension de divers îlots à quelques parties voisines de façon à permettre la réalisation d'un nouveau lotissement rationnel". En même temps que l'on retranche, on ajoute (86 immeubles en 1934) afin de favoriser les opérations immobilières, avec pour conséquence une diminution substantielle des habitants : d'une guerre à l'autre, les îlots insalubres ont perdu 8,5 % de leurs maisons, mais plus d'un quart de leur population.

En réalité, on constate que la tuberculose baisse partout au même rythme, sur toute la période (1918-1954) dans les îlots comme dans le reste de la capitale. L'intervention publique n'a-t-elle donc compté pour rien ? En terme de démolitions, le nombre de maisons passe de 4 290 en 1920 à 4 135 en 1931, puis à 3 999 en 1934, à 3 927 en 1938 : pendant l'entre-deux guerres, l'intervention est donc très faible : 8,5 % des maisons ont été démolies. Les habitants, eux, diminuent dans une proportion bien plus importante : entre 1920 et 1935, leur nombre passe de 186 594 à 145 116, ce qui exprime une baisse de 22,2 %. Et entre 1920 et 1946, ils diminuent de plus de 33 %. C'est que le principe même de l'intervention consiste à opérer des démolitions géographiquement regroupées. Ainsi, entre la fin de l'année 1933 et le début de l'année 1934, une partie de l'îlot 1, comprenant 44 immeubles, a été démolie à la suite d'un jugement d'expropriation en date du 2 mai 1930. A chaque fois qu'une démolition est effectuée, elle porte toujours sur un groupe de maisons relativement important : 38 immeubles démolis dans le quartier des Épinettes (îlot 5, jugement du 17 mai 1929), 11 immeubles démolis dans le quartier du Val de Grâce (îlot 2, jugement du 27 avril 1928), 54 immeubles démolis dans le quartier Clignancourt (îlot 9, jugement du 15 octobre 1926) etc.

Il apparaît d'ailleurs que les Services du Casier ne sont pas dupes des effets perturbateurs de l'échelle choisie. De fait, en ce qui concerne la nature des maisons saisies par la statistique, on précise :

"il s'agit ici du nombre des maisons situées dans les limites de chaque îlot, y compris celles dans lesquelles une mortalité tuberculeuse élevée n'a pas été constatée ou qui ne présentent pas un état d'insalubrité irrémédiable. Seuls ont été exclus de ce nombre les édifices publics et les quelques maisons modernes sur lesquelles des projets d'expropriation, en vertu de la loi du 15 février 1902, ne porteraient vraisemblablement pas".

Il existe donc, dans les îlots insalubres, des maisons salubres. Peut-être même, sait-on jamais, des garnis salubres !

Quoi qu'il en soit, les visiteurs sont à pied d'oeuvre et remplissent leurs formulaires avec zèle et précision.

Il s'agit donc de mettre en évidence les défauts des "maisons meurtrières", d'en faire l'état des lieux et, avant la démolition, sort qui leur était promis, d'obliger les propriétaires à mener des travaux d'amélioration. Du point de vue documentaire, le résultat est que notre source s'intéresse aux matériaux, aux surfaces, aux cubages, à la circulation de l'air et de la lumière, au propre et au sale, avant de s'intéresser aux hommes. Il s'agit néanmoins d'une source dont la richesse descriptive est à la mesure de la volonté tenace des administrateurs, très influencés par le courant hygiéniste, d'engager une lutte sans merci contre l'insalubrité, ses causes et ses conséquences.

Le recensement de 1891 intègre pour la première fois une série de questions sur le logement qui sont posées à Paris seulement, en attendant le recensement de 1901 qui généralise ces questions à la France entière. Sur le bordereau de maison, les agents du recensement doivent indiquer le nombre de ménages, le nombre de personnes de la maison ainsi que le nombre de personnes de passage. En outre ils doivent indiquer le nombre de locaux d'habitation vacants, le nombre de locaux servant d'ateliers, de magasins ou de boutiques, le nombre d'étages au-dessus du rez-de-chaussée. Est également indiquée la présence d'une concession d'eau, ou de puits dans la maison, ainsi que le nombre de cabinets d'aisance particuliers ou communs à tous les locataires. Sur la feuille de ménage, on doit indiquer le total des pièces, leur orientation sur rue, sur cour, double orientation ou jardin. Enfin, les pièces à cheminée doivent faire l'objet d'une mention particulière.

Ce questionnaire supplémentaire - dont on retrouve la plupart des questions dans le bulletin de visite - est le produit de longues discussions au sein de la commission de statistique : en effet, pour certains, les conditions d'habitation doivent être décrites au niveau du logement, tandis que pour d'autres, c'est l'échelle de l'immeuble et de l'îlot qui est pertinente : ces positions sont en fait le reflet de convictions divergentes en matière de propagation de la tuberculose, et surtout des priorités à établir : lutte contre l'immoralité et le surpeuplement, lutte pour la reprise de la natalité, lutte contre les maladies et l'insalubrité.

C'est cette dernière préoccupation que l'on sent dominante dans le formulaire des bulletins de visite aussi bien que dans la manière dont il est rempli. En effet, l'attention portée au surpeuplement (qui figure parmi les causes d'insalubrité au logement) est bien secondaire par rapport aux nombreuses causes qui sont liées à la rareté de l'air, de l'eau, de la lumière. Car comment y porter remède ? Les travaux ne sont d'aucun secours, il faut reloger, et l'administration n'a aucune compétence pour cela. La notion de contagion par le voisinage est fortement présente puisqu'il suffit qu'une maison saine se trouve incluse dans le périmètre d'un îlot insalubre pour qu'elle soit déclarée insalubre à son tour.

En résumé, il résulte de ces visites une importante masse documentaire, environ sept cent bulletins de visite, sans compter la correspondance, les plans, et diverses pièces. La quasi totalité des bulletins de visite existant se rapporte à des visites effectuées soit dans l'entre-deux guerres, entre 1931 et 1934, soit sous l'Occupation, pendant les années 1941, 1942 et 1943, et enfin dans les années 1950 (1954 et 1955), ces derniers étant néanmoins trop souvent incomplets, du fait que le processus d'expropriation et de démolition est alors assez avancé.

Le traitement des 502 bulletins de visite

Le formulaire servant au relevé des observations lors des visites a connu deux versions successives. Dans sa première version, il se compose de quatre pages. La première est une page de garde manuscrite où est inscrite, bien lisible, l'adresse de la maison inspectée. La deuxième page présente un plan de l'immeuble. La troisième page fournit une description de l'immeuble assez complète, portant à la fois sur l'époque de la construction, sur la position sur la parcelle (longueur de façade, profondeur, superficie), sur la morphologie (nombre de bâtiments, cours, courettes, avec indication de la nature des sols), sur le mode d'écoulement des eaux, le nombre et la nature des systèmes de vidange, le nombre de W-C, l'alimentation en eau et sa provenance. Enfin, on y trouve le nombre de logements, par étage, et la mention de la présence des établissements industriels et des commerces. La quatrième page porte sur les désinfections opérées successivement dans l'immeuble, avec la mention de la maladie visée et la date de la désinfection. Nous n'avons retrouvé dans les archives du Service technique de l'hygiène de l'habitation et du Casier sanitaire, que quelques rares exemplaires de cette première formule.

Après la première guerre mondiale, le formulaire est remanié. Deux différences majeures sont à souligner. D'une part, le formulaire est beaucoup plus important ; aux informations habituelles s'ajoute un formulaire sur les causes d'insalubrité au niveau de l'immeuble, ainsi qu'un descriptif très fin de chaque logement, pièce par pièce, avec les causes d'insalubrité répertoriées au niveau de chaque pièce de chaque logement. Enfin, le bulletin de visite comporte toujours un rapport, généralement assez fourni - plusieurs pages manuscrites - de l'architecte voyer décrivant les insalubrités et les prescriptions qui s'ensuivent.

Le bulletin de visite renseigne d'une part sur la maison, d'autre part sur chacun des logements, et enfin sur les activités commerciales et artisanales qui s'y déroulent.

La maison

Le bulletin est établi à l'adresse de la maison visitée. Nous avons utilisé les informations suivantes : le nom et l'adresse de son propriétaire, la présence ou non d'un concierge - ou d'un logeur, s'il s'agit d'un garni - l'époque de la construction, les matériaux utilisés pour les murs et la couverture, la structure de la construction sur la parcelle, le nombre d'étages de chaque bâtiment, le système d'évacuation des eaux et de vidange, le nombre et la répartition des postes d'eau et des W-C, le nombre de logements, de pièces et d'habitants. Enfin, les causes d'insalubrité identifiées au niveau de la maison sont repérées selon la nomenclature suivante :

Tableau n°3 : "Causes d'insalubrité affectant l'ensemble de l'immeuble ou des locaux à usage commun" telles qu'elles se présentent sur le formulaire
  • constructions en mauvais matériaux
  • mauvais état d'entretien des murs extérieurs ou des enduits
  • couvertures en mauvais matériaux
  • mauvais état d'entretien des couvertures
  • système de vidange défectueux
  • insuffisance du nombre de cabinets d'aisance à usage commun
  • mauvais état d'entretien des appareils de siège commun, des chutes, fosses
  • écoulement défectueux des eaux usées (trajet à ciel ouvert)
  • insuffisance du nombre des éviers, cuvettes ou vidoirs à usage commun
  • mauvais état des vidoirs, cuvettes, conduites, gargouilles, siphons etc.
  • absence complète de poste d'eau potable dans l'immeuble
  • alimentation de l'immeuble par robinet de jauge et réservoir
  • insuffisance du nombre de postes d'eau dans l'immeuble
  • cours et courettes non pourvues d'un revêtement solide et imperméable
  • écoulements d'eaux mal assurés dans les cours et courettes
  • escaliers mal éclairés ou mal aérés
  • malpropreté des ravalements sur cours et courettes
  • malpropreté des escaliers, paliers, vestibules ou autres locaux communs
  • malpropreté des cabinets d'aisances communs (enduits ou peintures)
  • présence dans l'immeuble d'industrie affectant la salubrité des habitations
  • insalubrité provenant du voisinage

La liste des causes est dans la droite ligne des préceptes de 1851 : "il y a insalubrité partout où il y a mauvaise odeur pouvant vicier l'air des habitations, partout où règnent l'humidité, la malpropreté, où manquent l'air et la lumière". Elle témoigne de la superposition des notions présidant au diagnostic d'insalubrité : on peut distinguer les causes qui se rattacheraient plutôt à la notion de péril (n°1, 2, 3, 4 et 14) : une construction qui pèche par la qualité de ses matériaux est davantage susceptible de porter atteinte à la vie même des gens par le danger qu'elle peut représenter qu'à leur santé. On peut distinguer des causes relatives à la question de l'eau : adduction d'eau et évacuation des eaux usées ; les rubriques prévues sont nombreuses (n°8, 9, 10, 15 pour l'évacuation et n°11, 12, 13 pour l'adduction) et témoigne de la persistance de l'inquiétude concernant ces questions, trente et quarante ans après l'adoption de la loi sur le tout-à-l'égout. Une autre série de causes se rapporte aux "cabinets d'aisance", trop peu nombreux (n°6) mal entretenus (7 et 19). On distingue enfin les rubriques se rapportant à la malpropreté (n°17 et 18) ou au défaut de lumière et d'aération (n°16). Enfin, la rubrique 20 veut dépister la présence d'industries "insalubres", tandis que la rubrique 21 doit permettre de repérer les causes d'insalubrité liées au voisinage.

Le logement

Au sein de l'immeuble, chaque logement fait l'objet d'une description qui reprend en partie les rubriques concernant l'ensemble : l'étage et le nombre de pièces du logement - avec parfois leur superficie - de fenêtres, de conduits de fumée ; le nombre d'habitants ; la présence de W-C et de postes d'eau, et enfin, les diverses causes d'insalubrité inhérentes au logement.

Le rapport et les prescriptions

Les pages du formulaire sont complétées par un rapport manuscrit, généralement très précis, dont l'objet consiste en la description des causes d'insalubrité, au niveau de l'immeuble, d'une part, au niveau de chaque logement et de chaque pièce, d'autre part. Enfin, à ces deux niveaux, un diagnostic est établi, et des prescriptions proposées : soit des travaux, dont la nature est précisée, ou l'interdiction d'habiter.

Les activités

Enfin, le formulaire contient une rubrique sur les activités commerciales et artisanales, ainsi que leur localisation dans l'immeuble. Il faut signaler à ce sujet que la source permet d'intéressantes observations sur l'imbrication des espaces d'activité et des espaces d'habitation : les locaux loués pour l'habitation ou pour le commerce et l'industrie ne sont pas toujours nettement distingués les uns des autres ; pour ce qui est des garnis, nous pouvons repérer la présence des cafés, restaurants et autres commerces qui généralement s'y trouvent, et tenter quelques réflexions sur les usages des arrières boutiques.

La base de données

La plupart des informations ont été traduites en autant de rubriques dans une base de données construite à l'aide du logiciel 4D, base de données assez complexe puisqu'elle comporte, par maison, plusieurs fichiers, et, au sein de chaque fichier, de nombreuses variables. La source elle-même est composée de 502 bulletins de visites établis en deux vagues, l'une en 1931-1934, l'autre en 1941-1943. Pour des raisons que nous ignorons, la plupart des bulletins conservés se rapportent aux îlot 1 et 11, c'est-à-dire Saint-Merri et Sainte-Avoye d'une part, et Belleville-Ménilmontant d'autre part. L'étude porte donc sur ces deux îlots, ce qui permet d'ailleurs de disposer d'un quartier central et d'un quartier périphérique, dont les tissus urbains diffèrent sensiblement. Les visites ont été effectuées pour une part au début des années 1930, pour une autre part - la plus importante - pendant l'Occupation, de 1941 à 1942. Il est d'ailleurs remarquable que le zèle de l'administration, sous l'Occupation, ait abouti à la rédaction de la masse la plus importante de documents.

Sans doute, ces deux périodes sont-elles fort différentes, à la fois du point de vue du marché du logement et des politiques : pendant l'Occupation, une partie de la population parisienne a quitté la capitale, tandis que le gouvernement de Vichy met à profit les lois existantes pour hâter certaines expropriations, en particulier dans l'îlot 16 (quartier Saint-Gervais, où vivent de nombreux juifs) où plus de 400 immeubles seront expropriés et plus de 10 000 personnes chassées ou déportées. Dans les îlots insalubres, les garnis se vident. Mais les visiteurs continuent leur travail, avec les mêmes formulaires. Ont-ils les mêmes idées et reçoivent-ils les mêmes consignes ? A la lecture de certaines observations on voit comment des architectes ont décidé de durcir l'entreprise d'assainissement, et comment d'autres, au contraire, se bornent à effectuer le même travail, tout en signalant les aryanisations qui frappent les propriétaires juifs des îlots. Ce qui ne fait aucun doute, c'est que les consignes se sont resserrées et qu'il n'est pas question de faire des excès de zèle - ou plutôt de céder à des scrupules qui feraient reconnaître comme parfaitement salubre tel ou tel immeuble, ce qui donnerait des armes au propriétaire exproprié - ainsi que l'indique une note que nous mentionnons plus loin, les diagnostics portés sur les maisons devant servir de base aux indemnités d'expropriation. Pourtant, on le verra, les observations ne changent pas radicalement. C'est même cela qui présente un intérêt, et rend la comparaison pertinente.

La base de données est composée comme il est indiqué sur le tableau suivant. Comme on le voit, la proportion des garnis est de l'ordre de 28 %. Ce pourcentage n'a pas valeur représentative pour indiquer ce que serait la part des hôtels meublés et des maisons ordinaires dans ces îlots. Elle est probablement supérieure (encore que dans certaines rues ou certains quartiers, la proportion pouvait sans doute approcher les 20 %) à la réalité : en effet, nous avons cherché à sur-représenter les garnis dans notre base de données, tout simplement afin d'en avoir davantage, mais sans perdre de vue l'objectif comparatif.

Tableau n°4 : description de l'échantillon des bulletins de visite analysés :
1. les maisons
  îlot1 maisons îlot 1 garnis îlot 1 mixtes total
années 1930 58 35 2 95
années 1940 124 70 3 197
  182 105 5 292
  îlot11 maisons îlot 11 garnis îlot 11 mixtes total
années 1930 39 3 1 43
années 1940 133 31 3 167
172 34 4 210
total général 354 139 9 502

Signalons enfin que certaines maisons ont fait l'objet de deux visites. Dans l'îlot 1, il s'agit de trente-six garnis et de cinquante-sept maisons situés rue Brantôme, rue des Lombards, rue aux Ours, rue Aubry-le-boucher, rue Beaubourg, rue de Venise, rue Quicampoix, rue Saint-Merri, rue Rambuteau et rue Saint-Martin. Dans l'îlot 11, il s'agit de quatre garnis et de trente-six maisons situées rue des Panoyaux, rue des Amandiers, rue des Églantiers, Impasse Touzet, Impasse Saumon, passage Rivière et rue des Cendriers.

C'est donc en totalité quarante garnis et quatre-vingt-treize maisons qui furent visitées deux fois, à dix années d'intervalle. Nous verrons, pour les hôtels meublés d'une part, pour les maisons ordinaires de l'autre, comment, dans cet intervalle de temps, elles ont pu évoluer, et comment les prescriptions éventuelles furent, ou ne furent pas, appliquées.

Combien de logements sont-ils compris dans ces 502 maisons ? 9 682 au total, soit sur les deux vagues de visites, ainsi qu'on peut le voir sur le tableau suivant.

Tableau n°5 : description de l'échantillon des bulletins de visite analysés:
2. les logements
îlot 1 maisons îlot 1 garnis ilôt 1 mixtes total
années 1930 1170 871 54 2095
années 1940 2254 1781 59 4094
total 3424 2652 113 6189
îlot 11 maisons îlot 11 garnis îlot 11 mixtes total
années 1930 476 114 5 595
années 1940 1902 846 116 2864
total 2378 960 121 3459
total général 5802 3612 234 9648

Nous avons donc analysé 502 bulletins de maison (dont 133 visitées deux fois) représentant 9 682 logements.

Qu'entend-on par logement ? Comme on l'a dit ci-dessus, la séparation entre local d'habitation et local d'activité n'est pas encore nettement établie. Ceux qui voulaient étendre le domaine de juridiction de la loi sur les logements insalubres entendaient inclure des dépendances diverses comme les ateliers, peut-être parce qu'ils savaient que certains locaux peuvent connaître des utilisations mixtes, ainsi qu'il apparaît dans la définition suivante. En 1889, l'administrateur du service des logements insalubres considère le logement comme étant :

"l'habitation, la demeure, le chez-soi ; il comprend chacune des pièces qui le composent, telles que chambres à coucher, salle à manger, cuisine, privés intérieurs, chambres de domestiques etc. Les boutiques, arrière-boutiques, ateliers, sont compris dans le mot logement lorsqu'ils sont attenants à l'habitation".